A chacun son Spinoza

Monuments, sites Internet, conférence et expositions : trois siècles après sa mort, le philosophe néerlandais fait l'objet d'un nouvel engouement aux Pays-Bas. Des penseurs se le réapproprient. Avec plus ou moins de pertinence, regrette le Volkskrant.

Publié le 11 juin 2009 à 09:33

Les deux monuments érigés en l'honneur de Spinoza à Amsterdam peuvent difficilement être plus différents : la statue massive de Nicolas Dings près de l’hôtel de ville et la construction interactive de l’artiste Thomas Hirshhorn à Bijlmer [une banlieue multiculturelle d’Amsterdam]. De nos jours, tout le monde aime Spinoza.

Le philosophe a fait irruption dans les débats sur l’immigration et la société multiculturelle suite aux attentats du 11 septembre et au meurtre du réalisateur Theo van Gogh [en 2004]. Avec, au centre des discussions, deux idées essentielles : la tolérance et la liberté d’expression. Les uns avançaient que la liberté d’expression était menacée par une trop grande tolérance à l'égard des musulmans. A gauche, on répondait que les néoconservateurs instrumentalisaient de la liberté d’opinion pour torpiller la tolérance, une valeur fondamentale. On a en fait assisté à un dialogue de sourds peu propice à une revalorisation des idées du philosophe.

La manière dont Spinoza (1632-1677) refait surface est frappante. Le penseur britannique George Steiner a raconté l’année dernière comment il avait cherché en vain des monuments dédiés à Spinoza aux Pays-Bas. Il était effaré par l’indifférence des Néerlandais envers leur plus grand philosophe. L’écrivain macédonien Goce Smilevski s'en est lui aussi étonné. Les jeunes qu'il a interrogés au sujet de Spinoza, lui répondaient invariablement : "Jamais entendu parler". Son conseil : investissez dans l’enseignement de la philosophie à écoles aux Pays-Bas !

Ces critiques ne sont plus tout à fait justifiées. Le monument Spinoza de Dings a été inauguré en novembre 2008, la maison de Spinoza a été restaurée, des colloques ont lieu partout dans le pays. Et depuis début mai la ville d’Amsterdam organise un festival artistique, My name is Spinoza. Jonathan Israel [ professeur d'Histoire moderne européenne à l'Université de Princeton] a contribué à remettre le philosophe au goût du jour. Dans deux études formidables sur les "Lumières radicales" il a montré l’importance de l’influence de Spinoza en tant que précurseur des penseurs radicaux des Lumières. La liberté de pensée occupe une place primordiale dans notre culture. Selon lui, les immigrés musulmans vivant aux Pays-Bas doivent eux aussi s'en convaincre et l’accepter s'ils veulent préserver la liberté dont jouit notre société.

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Selon le penseur populaire et non-conformiste anglais John Gray, ces interprétations de Jonathan Israel par rapport à la société actuelle sont tout à fait subjectives. Il lui reproche d’y impliquer Spinoza. Gray critique le "fondamentalisme du marché" et l’arrogance dogmatique des néoconservateurs. Selon Gray, le plaidoyer politique d’Israel sent trop la protection de valeurs occidentales considérées supérieures aux autres.

Quoi qu’il en soit, avec Spinoza, chacun y trouve son compte. Est-ce que cela aurait plu à Spinoza? Il est triste de voir la pensée d’un philosophe citée à tort et à travers. Surtout lorsqu’il s’agit d’un philosophe qui plaide pour un exercice cérébral consistant à laisser errer ses pensées en toute liberté. Le dogme ne sied pas aux libres penseurs.

En revanche, l’ode artistique à Spinoza du festival My name is Spinoza est plus réussie. Exemple parmi d'autres : dans un local à l’allure de squat, chacun est invité à s’exprimer librement en écrivant à la craie sur des tableaux noirs des questions comme "Quelles idées sont dangereuses au point qu’il vaut mieux ne pas les rendre publiques ?" Une des réponses : "Les miennes". Cette approche spontanée de Spinoza est un bol d’air au milieu des discussions oppressantes et sans issue sur notre "identité" et nos "normes et valeurs nationales".

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