Reportage Coopération militaire
Mikhaylo, un soldat ukrainien, devant un obusier AS-90. | Photo : ©Théo Prouvost Mikhaylo, a Ukrainian soldier trained in England on an AS-90 howitzer. ©Théo Prouvost

En Angleterre et en Estonie, des soldats Ukrainiens “plus motivés que jamais” préparent l’offensive de printemps

Alors qu’une nouvelle offensive de l’armée ukrainienne est attendue courant mai, l’entraînement des soldats ukrainiens dans plusieurs pays européens s’accélère. Notre envoyé spécial a pu assister à la formation de plusieurs d’entre eux en Angleterre et en Estonie.

Publié le 25 avril 2023 à 15:09
Mikhaylo, a Ukrainian soldier trained in England on an AS-90 howitzer. ©Théo Prouvost Mikhaylo, un soldat ukrainien, devant un obusier AS-90. | Photo : ©Théo Prouvost

Les premiers coups de canons retentissent à 9h55, juste avant qu’une pluie battante ne s’invite sur le terrain boueux. Sur les obusiers AS-90, le drapeau ukrainien flotte haut à côté de l’Union Jack. La sergente Burnfield saisit son talkie-walkie pour donner l’ordre aux six chenillés d’ouvrir le feu : près de cinquante munitions seront tirées en moins d’une demi-heure. Trente engins comme ceux-ci repartiront avec les Ukrainiens depuis Londres. 

Les trente kilomètres à la ronde sont déserts, autour du plus grand terrain d’entraînement militaire sur le sol britannique. À 3 000 kilomètres de la ligne de front, ces plaines du sud-ouest de l’Angleterre, labourées par les chenilles des machines, doivent demeurer secrètes, à la demande de l’armée. La base est l’une des quatre sur lesquelles les Britanniques ont entraîné plus de 10 000 soldats ukrainiens depuis le début du conflit. 

À 33 ans, Mikhaylo est l’un d’entre eux. Père d’un garçon de quatre ans, il était spécialiste des machines agricoles dans l’oblast (région) de Tchernihiv, dans le Nord du pays. Sa formation a commencé il y a trois semaines : “Dès que ma ville a été libérée, je me suis engagé. Je dois faire de mon mieux pour protéger la mère patrie”.

Un instructeur britannique vérifie l’installation des soldats ukrainiens ©Théodore Donguy
Un instructeur britannique vérifie l’installation des artilleurs ukrainiens dans un obusier AS-90. | Photo : ©Théodore Donguy

Par crainte de représailles, les Ukrainiens ne laissent entrevoir que leurs yeux. Ils se distinguent des instructeurs britanniques par leur blouson dépourvu de camouflage.

Qui sont ces soldats en formation ? 

Ce jour-là, parmi les 150 recrues présentes, la moitié avait déjà fait face aux atrocités du front. La sélection des soldats choisis pour être envoyés à l'autre bout de l’Europe pose des questions.

D'après Emmanuel Dupuy, président de l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE), les formations sont principalement destinées aux cadets, c'est-à-dire aux officiers en cours de formation.


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Mais, autour des engins, les Ukrainiens gradés sont minoritaires, laissant place à des hommes familiarisés avec l’artillerie. Yuriy connaît la guerre depuis l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014 : “Ces entraînements me permettent surtout de perfectionner ma technique et effectuer des tirs bien plus précis”. La portée du canon sur lequel Yuriy s’entraîne atteint les 25 kilomètres. 

Communication maîtrisée

Ce matin de mars, 18 journalistes étaient présents pour assister aux manœuvres. La logistique autour des reporters était millimétrée ; coup de communication réussi pour la British Army. En témoigne l’accréditation obtenue en quelques jours, là où les exercices de l’Union Européenne restent très confidentiels et fermés à la presse.

Emmanuel Dupuy l’explique ainsi : “La culture de l’entreprise des forces armées britannique a toujours été extrêmement communicante”. Il met en avant la diplomatie publique que les Britanniques maîtrisent parfaitement. 

Ces entraînements dans les contrées les plus à l’ouest de l’Europe posent tout de même des questions, alors que la Pologne offre un terrain d’exercice parfait. Faire venir des milliers d’Ukrainiens en France, en Allemagne ou encore au Royaume-Uni entraîne une logistique extrêmement complexe et coûteuse.  

La Pologne pivot de l’aide internationale

Quand les puissances occidentales estiment que les Ukrainiens sont aptes à retourner au combat, la Pologne prend le relais. Dans ce soutien militaire, ce pays est l’acteur central de la stratégie occidentale. 

Des journalistes venus des cinq continents tentent de capturer les entraînements des artilleurs Ukrainiens. ©Théodore Donguy
Des journalistes venus des cinq continents tentent de capturer les entraînements des artilleurs Ukrainiens. | Photo : ©Théodore Donguy

Les troupes ukrainiennes sélectionnées par Kiev pour suivre une formation passent par l’aéroport de Rzeszow-Jasionka, comme 80% de l’aide humanitaire et militaire. Centre névralgique des compagnies low-cost avant l’invasion, le tarmac de Jasionka est le théâtre d’un ballet incessant d’avions-cargo militaires. Trains et camions prennent ensuite le relais pour rejoindre l'Ukraine, 100 kilomètres plus à l’Est. C’est ce trajet qu'emprunteront Mikhaylo et Yuriy de retour d’Angleterre. 

Jasionka est le reflet de ce qu’est devenue la Pologne depuis mars 2022 : la porte d’entrée de l’aide européenne à l’Ukraine (les Etats-Unis disposent de leur propre base à Mielec). Emmanuel Dupuy parle d’une “Polonisation de la puissance Otanienne” ; une première pour un pays souvent marginalisé en raison de sa politique illibérale. D’ici fin 2023, la Pologne devrait allouer 4 % de son PIB à son budget de défense et atteindra ainsi le niveau de dépense le plus élevé parmi les pays de l’OTAN.

Les pays Baltes,fer de lance de l’OTAN

Parmi l’alliance des Neuf de Bucarest, la Pologne n’est pas la seule nation à s’affirmer sur la scène internationale. L’OTAN s’appuie également sur les trois pays Baltes, avec en figure de proue l’Estonie  

Lorsque l’on rapporte l’aide à l’Ukraine au PIB, l’Estonie est le pays le plus généreux (1,07 % de son PIB), suivi par les voisins lettons et lituaniens. À titre d’exemple, ce pourcentage ne dépasse pas les 0,40 % pour les Etats-Unis. L’invasion russe semble avoir redistribué les cartes du programme de défense otanien en Europe, n’en déplaise au couple franco-allemand. 

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