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Aux Pays-Bas, les sans-papiers abandonnent la vaccination

Une étude menée par Lighthouse Reports montre que les personnes sans-papiers vivant aux Pays-Bas rencontrent de nombreuses difficultés pour se faire vacciner contre le Covid-19 et finissent souvent par renoncer.

Publié le 18 mars 2022 à 17:24

L’analyse faite par Lighthouse Reports des politiques vaccinales mises en place aux Pays-Bas a défini le pays comme “ouvert et accessible”. Mais la réalité est cependant toute autre. Un an après le lancement de la campagne de vaccination, de nombreux sans-papiers restent démunis face à sa complexité.

Selon les conclusions de cinq interviews menées par Lighthouse Reports auprès de sans-papiers de trois grandes villes des Pays-Bas (Amsterdam, Rotterdam et Utrecht), il reste difficile d’accéder à des informations claires concernant la vaccination. Les personnes interviewées ont peiné à joindre les lignes d’assistance téléphonique des autorités sanitaires municipales des Pays-Bas (Gemeentelijke Gezondheidsdiensten, GGD). La plupart d’entre elles ont compris qu’elles avaient besoin d’être aidées pour la prise de rendez-vous, afin de surmonter les difficultés administratives et la barrière de la langue. Pour les quelques personnes qui ont essayé de prendre rendez-vous seules, la tâche s’est avérée si fastidieuse, longue et déroutante qu’elles ont préféré abandonner en chemin. 

Processus complexe

Ce n’est qu’en février 2022 que Rama*, originaire de Guinée, a appris pour la première fois qu’elle pouvait se faire vacciner contre le Covid-19, après s’être rendue à la fondation Ros (Rotterdam), qui aide les sans-papiers dans leurs démarches.

Je voulais me faire vacciner depuis un an déjà, mais je n’arrivais pas à obtenir d’informations, c’était épuisant”, déplore-t-elle. “Je suis allée sur le Rijksoverheid (le site internet du gouvernement) en espérant y obtenir des réponses. Je n’ai rien trouvé au sujet des sans-papiers, les informations en ligne ne concernaient que les personnes en règle”, poursuit-t-elle. “C’était tellement flou que je n’ai même pas compris que j’étais concernée. J’ai même cherché sur le site web le mot ‘sans-papiers’, mais je n’ai rien trouvé. J’en ai donc déduit que je ne pouvais pas me faire vacciner, et qu’il n’existait aucune loi autorisant les sans-papiers à se faire vacciner.

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L’enquête a non seulement montré que les sans-papiers avaient du mal à savoir s’ils étaient éligibles à la vaccination, mais également que les informations au sujet de leur dose de rappel manquaient cruellement de clarté.

L’un d’eux, Ali, originaire d’Iran, vit actuellement à Utrecht. “J’aimerais beaucoup faire ma dose de rappel”, assure-t-il. “Elle offre une protection plus efficace contre le nouveau variant Omicron. Mais ce n’est pas possible. Lorsque je me rends dans un centre de vaccination, on me demande mes papiers et ma carte d’identité. Je n’ai rien de tout cela.

Je vais laisser tomber jusqu’à ce que la fondation Ros me propose une solution”, déclare Rama. La complexité des procédures ne l’a pas encouragée à poursuivre sa démarche. Pour elle qui est sans-papier, l’accès à la vaccination n’est qu’un problème parmi tant d’autres. “J’ai trop de choses à penser pour m’engager dans une démarche qui n’aboutira probablement jamais”.
Même si les personnes en situation irrégulière ont le droit de se faire vacciner et accèdent généralement facilement à la vaccination, le véritable défi reste d’atteindre cette partie de la population”, déclare Janine Wildschut de Médecins du Monde, une ONG qui fournit une aide médicale aux sans-papiers. Non seulement pour des raisons pratiques, mais aussi parce qu’“il y a une grande méfiance à l’égard du gouvernement.

De longues démarches administratives

The authorities maintain that undocumented migrants can go to various locations where no aD’après les autorités, il existe des lieux où il n’est pas nécessaire de prendre rendez-vous, ni de présenter un numéro d'identification du citoyen. Durant la seconde partie de la campagne de vaccination, les autorités sanitaires municipales ont mis en place des unités mobiles dans le but de toucher les pans de la population les plus difficiles à atteindre, tels que les personnes sans domicile et les sans-papiers. Mais la plupart des personnes concernées n’en ont jamais eu connaissance.

Le personnel du GGD n’est pas bien informé”, affirme Stefan van Maurik, coordinateur de la fondation Toevlucht à Utrecht. “Même réaliser des tests relève du parcours du combattant. Il n’y a pas longtemps, quelques personnes sont tombées malades, et j’ai dû les faire tester. Cela a pris des lustres car ils n’avaient pas de BSN (burgerservicenummer, numéro de service aux citoyens). C’est la même chose pour la vaccination.

Alpha, originaire de Guinée, vit à Amsterdam en situation irrégulière. Il se rappelle comment il a appris, au début de la campagne de vaccination, qu’il ne pouvait pas faire sa dose de rappel sans ce même BSN . “Avec un ami néerlandais, on a appelé le GGD trois fois pour obtenir un rendez-vous – c’était avant qu’on puisse se faire vacciner sans prendre rendez-vous – et on nous a dit que c’était impossible”, raconte-t-il. “Mais mon ami néerlandais a tout fait pour que je puisse être vacciné.” 

Les difficultés ne s’arrêtent pas après avoir reçu les doses, loin de là. Pour obtenir un certificat numérique de vaccination, tout le monde, y compris les sans-papiers, a besoin d’un QR code généré par l’application mobile Coronacheck. Pour se connecter à l’application, il faut renseigner un BSN, ce qui n’est pas toujours possible pour les sans-papiers.

Nous nous efforçons de trouver un moyen pour que les sans-papiers puissent prouver qu’ils ont un schéma vaccinal complet. Sans ce document, ils ne peuvent pas se rendre au restaurant ou dans les espaces publics, sauf s’ils présentent un test négatif de moins de 24 heures. Les autorités sont censées travailler sur ce point mais rien n’a encore été fait.” explique Janine Wildschut, de Médecins du Monde.

Le GGD GHOR, l’organisme national qui coordonne les autorités sanitaires municipales, n’est pas en mesure d’estimer le nombre de personnes en situation irrégulière vaccinées, puisque leur statut n’est pas connu des autorités – impossible, donc, de savoir combien doivent encore reçevoir leurs doses. Pour cela, encore faudrait-il connaître précisément le nombre de sans-papiers aux Pays-Bas, estimé entre 20 000 et 60 000. 

Le 15 février 2022, le gouvernement néerlandais a toutefois annoncé qu’il n’était plus obligatoire de présenter un QR code pour aller au restaurant et accéder à d’autres activités de loisir.

Les noms complets d’Alpha, Rama et Ali sont gardés confidentiels.

*Alpha, Rama et Ali sont des noms d'emprunt.

👉  L'article original sur Trouw


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