L’Union européenne a pris ces dernières années un certain nombre de mesures pour faciliter le transport de passagers et de marchandises à l'échelle du continent, par exemple en soutenant de nouvelles lignes internationales et en réduisant les coûts des trains internationaux. Et c’est sans compter les différentes coopérations bilatérales entre pays : l’Allemagne et la France, par exemple, ont par le passé collaboré pour promouvoir les voyages des jeunes adultes. À l’été 2022, les deux partenaires avaient posé sur la table une offre alléchante : 60 000 billets gratuits aux moins de 27 ans.
Certaines mesures nationales visent aussi à soutenir les compagnies ferroviaires pour des services spécifiques, dans le but de faire baisser les prix pour l'usager. En Belgique, l’Etat subventionne les trains de nuit ayant au moins un arrêt dans le pays. Les initiatives régionales restent les plus courantes. La région française Occitanie (région administrative du Sud du pays, ndlr) a lancé un programme permettant de voyager sur les trains régionaux pour un euro tous les premiers week-ends du mois. L’offre, qui doit être maintenue jusqu'à l'été 2023, propose donc les trains régionaux les moins chers de France. Elle se veut aussi être une réponse à l’urgence climatique.
Les développements régionaux s'inscrivent dans une longue tradition de promotion du service public. Selon l'Agence ferroviaire de l'Union européenne (ERA), de telles initiatives régionales ont rendu la population locale plus encline à utiliser les services publics, en particulier au niveau des villes. "En 2019, Västtrafik, l'agence régionale de transport de Göteborg (Suède), a distribué gratuitement des laissez-passer de deux semaines valables pour les bus, les ferries et les tramways”, explique un responsable de l'ERA à Voxeurop. “Environ 20 % des personnes ayant reçu les billets gratuits, soit 100 000 résidents, sont devenus des utilisateurs réguliers des transports publics". Des cas similaires de transports publics gratuits ont pu être constatés à Tallinn (Estonie) et à Dunkerque (France).
L'Allemagne et l'Espagne, avec leurs initiatives nationales, permettent de comprendre les limites, les développements futurs possibles et la nécessité d'intégrer ces politiques dans une approche plus large. La tarification fait en effet partie d'une stratégie plus complexe visant à encourager les transports publics, à réduire les émissions du secteur au niveau national et continental, à réduire le trafic sur les autoroutes et à promouvoir le tourisme régional.
Allemagne : un nouveau programme national après le test de 2022
Le premier programme national visant à stimuler l'utilisation des trains post-pandémie est venu d'Allemagne : un billet mensuel à 9 euros donnant accès à tous les transports publics régionaux pendant trois mois de l'été 2022. Cette promotion s'inscrivait plus largement dans le cadre des efforts déployés par le gouvernement allemand pour limiter les conséquences de l'inflation.
Selon les données de l'Office fédéral allemand de la statistique (Destatis), le nombre de trajets dans les zones rurales du pays en juin et juillet 2022 a augmenté de 80 % par rapport à 2019. Pareil pour le nombre de voyages en train vers les zones touristiques urbaines, qui a grimpé de 28 %. Au cours de la même période, les déplacements par la route ont retrouvé leur niveau d'avant la pandémie, ce qui suggère que seule une partie marginale de la population a renoncé à la voiture, préférant voyager en train.
Ces résultats concordent avec ceux d'autres sources. Un groupe de chercheurs de Munich a mené une étude universitaire sur base de questionnaires et de données sur la mobilité obtenues à partir d'applications pour smartphones. Les conclusions de celle-ci suggèrent que 48 % des personnes ont augmenté leur utilisation des transports publics. Cependant, seuls 31 % de l'échantillon ont réduit leur utilisation de la voiture : la majorité n'a donc pas changé ses habitudes et 5 % ont même eu davantage recours aux transports privés. 82 % des personnes qui ont augmenté leur utilisation des transports publics et diminué celle de la voiture ont indiqué l'introduction du ticket à 9 euros comme principale raison.
Des données publiées ultérieurement ont montré que le nombre de voyages en train au cours des trois mois d'été en Allemagne a augmenté principalement pendant les week-ends (+105 %), alors que l'augmentation était plus faible pendant la semaine (+24 %). "Après l'expiration du billet à 9 euros, une baisse de la mobilité, revenue au niveau d'avant la crise, a été observée dans toutes les catégories de distance observées", explique Destatis dans un communiqué, confirmant ainsi l'impact des subventions sur l'utilisation des transports publics.
Le nombre de trajets en train entre 30 et 100 kilomètres était en moyenne 43 % plus élevé qu'en 2019 ; pour les distances moyennes (100 à 300 kilomètres), une augmentation de 57 % a été observée. Les trains de longue distance, en revanche, sont restés plus ou moins au niveau d'avant la pandémie.
L'opérateur Deutsche Bahn est connu pour ses trains souvent retardés, et l'augmentation du nombre d'usagers en 2022 a davantage accentué le problème : coïncidant avec la saison touristique, les trains étaient souvent si pleins que la presse danoise suggérait de les éviter. Les plus grands bénéficiaires ont été les jeunes, allemands ou non, les familles à faible revenu et les navetteurs.
Le Parti libéral-démocrate (FDP, centre) n’a pas été avare de critiques. Le groupe, actuellement membre de la coalition au pouvoir et devenu au fil des ans la voix de l'industrie automobile allemande, a souligné que ces mesures de soutien n’avaient pas profité à l'ensemble de la population. Certains experts avancent que bien que cela soit en partie vrai, l'impact limité de l’offre pour une partie de la population est surtout dû à des services souvent défectueux.
"Les trains moins chers ou gratuits ne sont qu'une partie de la question, les gouvernements doivent agir et investir pour augmenter la disponibilité et la fiabilité des trains", explique Victor Thévenet de Transport&Environment, un groupe de campagne européen pour la promotion des transports propres.
À partir du 1er mai, l'Allemagne introduira un billet mensuel pour les trains régionaux à 49 euros par mois. Mais, comme le précise-t-il, “un tel tarif pourrait encore être trop cher pour les familles. Les entreprises et les gouvernements doivent réfléchir à des politiques tarifaires spécifiques pour elles."
Franc succès espagnol
À la fin du mois d'août 2022, l'Espagne a lancé quant à elle un programme offrant des billets gratuits pour les trains de courte et moyenne distance exploités par l'opérateur national Renfe.
Les trains sont gratuits grâce à un carnet de billets nécessitant un dépôt de 10 à 20 euros, qui est ensuite remboursé lorsque le service est utilisé. Deux types de trains sont concernés : les trains de banlieue (Cercanías) et les trains régionaux (Media Distancia Convencional). Le gouvernement national a également introduit une réduction de 50 % du prix des billets pour les trains à grande vitesse de moyenne distance (Media Distancia Alta Velocidad).
Le programme ne devait à l’origine durer que quatre mois ; en octobre 2022, la ministre des Finances María Jesús Montero a pourtant annoncé une enveloppe de 700 millions d'euros pour les prolonger jusqu’à 2023. Les premières analyses de résultats montraient un intérêt significatif. "En effet, 2,2 milliards de billets multi-trajets ont été demandés, dont 71 % pour les services Cercanías et 29 % pour les voyages Media Distancia Convencional. Renfe a également vendu 55 000 billets pour les trains régionaux à grande vitesse ", se félicite un attaché de presse de Renfe.
Les données relatives aux deux premiers mois du programme montrent que les nœuds ferroviaires qui ont connu la plus forte croissance ne sont pas les plus populaires. Malaga, les Asturies et Santander ont enregistré une augmentation des services Cercanías de plus de 60 %, suivis par Séville, Cadix, Bilbao et Saint-Sébastien (environ 55 %). Valence (38,1 %), Barcelone (28,7 %) et Madrid (25,7 %) ferment la marche des augmentations par rapport à la même période en 2021.
"La mesure a un impact très favorable, bien que les informations sur la réduction du trafic privé n'aient pas encore été publiées. En tout état de cause, la gratuité des billets de train provoque un report vers ce modèle et les citoyens l'envisagent à nouveau comme une option", commente Thévenet.
Si l'on considère les cinq derniers mois de 2022, on constate que le nombre de passagers dans les trains de banlieue a augmenté de 30 % par rapport aux niveaux de 2021, mais qu'il reste souvent inférieur au nombre de passagers de la même période en 2019. Les trajets régionaux, en revanche, ont enregistré un nombre record de passagers – jusqu'à 50 % supérieur au niveau d'avant la pandémie. Pareil pour les trains à grande vitesse pour les moyennes distances. Quant aux trains à grande vitesse pour les longues distances, non subventionnés, ils sont revenus à un niveau pré-pandémie.
“L'objectif principal du gouvernement est d'accroître le réseau et les services ferroviaires à grande vitesse en Espagne, tout en maintenant les principales lignes conventionnelles sans en construire de nouvelles", déclare Amparo Moyano, maître de conférences à l'université de Castille-La Manche.
Allemagne, Espagne : tentative de comparaison
L'augmentation moins importante du nombre de trajets effectués en Espagne par rapport à l’Allemagne pourrait être expliqué par deux faits : le taux de mortalité différent pendant la pandémie (1975 décès pour 1 million d'habitants en Allemagne pour 2535 décès par million d’habitants en Espagne) et le PIB par habitant plus élevé en Europe du Nord (44678,32 euros en Allemagne en 2022 pour 27058,16 euros en Espagne). Le premier facteur pourrait entraîner une plus grande réticence de la population à l'égard des transports publics quand le second limiterait les possibilités de déplacement de la population en général.
D'autre part, le nombre de voitures par personne (0,58 en Allemagne pour 0,53 en Espagne) pourrait limiter, du moins dans l'immédiat, l'impact des programmes allemands sur l’usage du train. Fin 2023, le gouvernement espagnol évaluera les conséquences environnementales et sociales du programme et décidera – ou non – d’en faire une politique structurelle. L'Allemagne devra aussi se pencher sur la question à l’avenir.
Il est en tout cas probable qu’en Espagne comme en Allemagne, la population locale, entre-temps habituée aux trains subventionnés, ne résiste à toute tentative de supprimer ceux-ci. Pour Thévenet, de cet attachement pourrait émerger une pratique plus généralisée des transports publics.

En partenariat avec European Data Journalism Network
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Depuis les années 1980 et la financiarisation de l’économie, les acteurs de la finance nous ont appris que toute faille dans la loi cache une opportunité de gain à court terme. Les journalistes récompensés Stefano Valentino et Giorgio Michalopoulos décortiquent pour Voxeurop les dessous de la finance verte.
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