Assemblée générale pendant l’occupation de l’Université de Vienne par les étudiants, le 28 octobre 2009. Photo : Daniel Weber/Flickr

Facs gratuites, rêve impossible ?

Depuis mi-octobre, les étudiants autrichiens occupent les universités de Vienne pour revendiquer une éducation gratuite pour tous. Mais la question du financement de l’enseignement supérieur ne doit pas être taboue, plaide l'économiste Andreas Schibany dans le Standard.

Publié le 30 octobre 2009 à 11:57
Assemblée générale pendant l’occupation de l’Université de Vienne par les étudiants, le 28 octobre 2009. Photo : Daniel Weber/Flickr

C'est un nom que l'on entend surtout dans la bouche des philosophes, qui sortent subitement de leur réserve dès lors que ce qu'il représente leur paraît menacé : Wilhelm von Humboldt, l'impérissable mythe d'une certaine politique d'éducation européenne [Wilhelm von Humboldt (1767-1865) a fondé l’université Humboldt de Berlin et introduit le principe de la libre recherche et de la confrontation des disciplines pour faire avancer le savoir].

C'est pouquoi toute tentative de réforme du système éducatif est vue comme l'expression d'une haine envers l'œuvre du célèbre linguiste philosophe et une menace contre l'université, ce lieu où est encore possible la connaissance du monde par simple amour et où le concept d'éducation hérité des Lumières tombe aujourd'hui sous le coup de la loi du marché.

Le spectre d'une vision mercantile de l'université

Ces discoureurs philosophes ne se lassent pas de nous mettre en garde contre la pensée mercantile et le risque de réduire l'université à un simple lieu de formation. Et plane toujours le spectre du modèle anglo-saxon, qui fait le distinguo entre les universités essentiellement orientées vers la recherche et celles qui considèrent leur enseignement comme supérieur. Une conception perçue comme "une menace permanente pour l'université".

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Pour l'heure, on assiste surtout à des occupations d'amphithéâtres, à l'agitation de salles bondées et à l'afflux d'étudiants allemands pris en charge par le gouvernement autrichien. Les pressions financières sur l'université, aggravées par le maintien d'un idéal totalement dépassé et un système d'incitation inefficace menacent à présent de détruire le système universitaire autrichien.

L'un des slogans affiché lors de l'occupation de l'amphithéâtre principal de l'université de Vienne [depuis mi-octobre] - "l'éducation gratuite pour tous" - résume bien les revendications des étudiants. Car si l'éducation est une nécessité pour tous, il faut quelqu'un pour la payer. Une autre chose est donc nécessaire, qui fait frémir les partisans d'un modèle élitiste: une approche économique du débat.

Les barrières économiques de l'accès au savoir

Aussi mal vue soit-elle, l'approche économique ne désigne pas seulement la diffusion du concept de rationalisation. Il s'agit également de répartir le mieux possible des ressources limitées, de mettre en place un système d'incitation adapté et de tenir autant compte des intérêts individuels des étudiants que du besoin de justice sociale.

L’Autriche dépense plus pour l'éducation supérieure que la moyenne des pays de l'OCDE et la plupart des pays européens. Ce qui manque, ce sont les sources de financement privées, qui ont disparu en Autriche avec la suppression des frais d'inscription [en 2008. Ils avaient été introduits en 2000]. On pensait ainsi mettre un terme aux dernières injustices sociales. Mais voilà, le nombre d'étudiants a considérablement augmenté [entre 2000 et 2008] malgré les frais d'inscription.

Il y a toutefois une chose que la suppression des frais d'inscription universitaires n'a pas changé: en Autriche plus que partout ailleurs, la réussite scolaire des étudiants dépend de leur milieu économique et social. Ces barrières sociales pourraient toutefois être compensées par un système public de prêt pour les étudiants.

Des bienfaits du prêt étudiant

Il est surprenant de voir que ce dispositif adopté par de nombreux pays n'a jamais été discuté en Autriche. Un système de prêt présente en effet tous les avantages que réclament aujourd'hui les étudiants: il rend leurs souhaits de formation indépendant du niveau de revenus de leurs parents, il leur permet de se concentrer sur leurs études sans avoir à prendre de petit boulot mal payé pour vivre et il permet de répartir les coûts sur une plus grande période de temps.

Il est urgent de démystifier l'université en Autriche, de clarifier le système d'incitation et de trouver un programme de financement équilibré. Même les plus ardents défenseurs de Humboldt devraient comprendre que cette rationalisation de l'université n'est pas l'expression "d'esprits fermés" mais la fondation d'un système éducatif moderne et adapté à son époque.

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