Serban Orescu, Neculai Constantin Munteanu, Emil Hurezeamu, trois journalistes emblématiques de Radio Free Europe Roumanie. Image : RFE/Cold Waves film d’Alexandru Solomon

Radio Free Europe, la voix de la dissidence

Dans les pays communistes, Radio Free Europe était la "voix" de l'Ouest. A la veille du vingtième anniversaire de la révolution qui a renversé Nicolae Ceausescu, les Roumains rendent hommage à celle qui était devenue la bête noire du régime.

Publié le 16 décembre 2009 à 22:34
Serban Orescu, Neculai Constantin Munteanu, Emil Hurezeamu, trois journalistes emblématiques de Radio Free Europe Roumanie. Image : RFE/Cold Waves film d’Alexandru Solomon

Je ne sais pas pour les autres, mais moi je dois ma vocation pour le journalisme à l'existence de Radio Free Europe. Car sans elle ou sans Radio France Internationale (RFI), Voice of America, BBC et la Deutsche Welle je n'aurais pas su qu'il y avait des alternatives. Ce qui se passait il y a plus de 20 ans en Roumanie tient déjà des manuels : de journalisme, d'histoire, de manipulation des masses. Mais l'écoute de Radio Free Europe nous permettait de ne pas nous isoler et de protester contre la censure. C'était notre dissidence quotidienne, à heures fixes, incarnée par les marques des postes de radio, devenus eux-mêmes des symboles de la résistance : Selena, Gloria ou VEF.

L'histoire de la Roumanie de la seconde moitié du siècle dernier ne peut être comprise sans prendre en compte le phénomène Radio Free Europe. Vous vous souvenez ? Si vous habitiez un immeuble, il était impossible de ne pas entendre les interférences qui brouillaient l'émission "L'Actualité roumaine". Si vous habitiez une maison et que vous promeniez votre chien au moment où l'émission était diffusée, il était impossible de ne pas entendre les voix familières des intervenants. Il était impossible de vivre dans les années de "l'âge d'or" de Nicolae Ceausescu et de ne pas avoir entendu parler de Radio Free Europe.

Il était une voix

Radio Free Europe (RFE) et Radio Liberty (RL) furent créées à l'initiative du Congrès américain, afin de contribuer à la chute des régimes communistes d'Europe centrale et orientale. La CIA et le Congrès prenaient en charge son financement, jusqu'en 1971, lorsque ce dernier est devenu l'unique bailleur de fonds. RFE et RL ont fusionné en 1976 pour devenir RFE/RLInc. Radio Free Europe a fourni aux auditeurs du bloc de l'Est une information objective et impartiale dont ces peuples étaient privés par la censure communiste. Les émissions destinées à la Roumanie, lancées en 1951, ont cessé en août 2008. Mais en pratique le glas a sonné avec la mort des époux Ceausescu, le 25 décembre 1989, qui a marqué la chute du communisme dans le pays. Radio Free Europe continue aujourd'hui sa mission, celle de promouvoir depuis Prague et en 28 langues les valeurs et les institutions démocratiques, mais à destination d'un autre public : une vingtaine de pays, de la mer Baltique à la mer Noire, de la Russie jusqu'en Asie centrale et au Golfe Persique.

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Les appels au respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales provoquaient la colère des régimes communistes : en février 1981 par exemple, une bombe a explosé au siège munichois de RFE. L'attentat, qui avait fait un mort et quatre blessés, a été commis par le célèbre terroriste Ilitch Ramírez Sánchez, dit Carlos, sur ordre de la Securitate, la tristement célèbre police politique roumaine. Cela n'a pas empêché RFE de continuer à diffuser les émissions en langue roumaine, demeurant jusqu'à la fin du régime le cauchemar du "génie des Carpates" [surnom donné à Ceausescu]. Radio Free Europe a été la station de radio la plus influente et la plus efficace de tous les temps. Aujourd'hui, les 3 500 bobines et enregistrements sont conservés à l'Institut Hoover de l'Université de Stanford, en Californie.

Une campagne pour le rappatriement des archives

Mi-décembre, une campagne nationale visant à créer un Centre de recherche et de documentation sur Radio Free europe a été lancé par l'Institut roumain d'histoire récente (IRIR), avec l'équipe des anciens journalistes du département roumain de RFE ainsi que des médias et des personnalités pour qui Radio Free Europe a eu une importance particulière. "Europa Liberă, Aici!", ["Free Europe, ici !", jeu de mot avec le "Ici Free Europe", qui marquait le début des programmes] compte rappeler aux Roumains le rôle particulier qu'a eu cette station et sa contribution à la conquête de la liberté et du bien-être des Roumains. Lors des premiers jours de la révolution de décembre 1989, Radio Free Europe a été le seul média à relayer dès le début dans toute l'Europe les événements qui allaient déclencher le renversement du régime : "Laszlo Tokes est un pasteur de l'Eglise réformée à Timisoara. Les paroissiens se sont réunis devant sa maison et manifestent contre son départ, organisé par la Securitate", commençait ainsi la chronique du reporter de RFE.

"Ramener les archives de RFE en Roumanie et les mettre à la disposition des jeunes est extrêmement important", affirme Liviu Tofan, directeur de l’IRIR, pour qui "l'origine de la majorité de leurs problèmes se trouve dans les 20 dernières années, car la société roumaine n'a pas pu vraiment débattre de cette période. La corruption et le favoritisme actuels sont nés à cette époque, voilà pourquoi il est essentiel d'en comprendre les erreurs". Retrouver ces archives "n'est pas une démarche facile", ajoute-t-il, "mais nous croyons fermement que l'histoire n'a pas de prix ! Nous sommes le seul pays de l'Europe centrale et orientale, à part la Bulgarie, qui n'ait pas récupéré ses archives".

FRANCE

Paris met RFI en sourdine

Les temps changent, les radios aussi. Après la BBC et Deutsche Welle, c'est au tour de Radio France Internationale (RFI), la station du service public à destination de l'étranger, de supprimer certaines émissions en raison de leur faible audience. RFI cessera d'émettre dans six langues (sur les 20 qu'elle compte) : le polonais, l'albanais, le laotien et l'allemand dès le 19 décembre ; les émissions en turc ont déjà cessé et celles en serbo-croate auront encore quelques semaines de sursis. D'autres rédactions, comme celle en roumain, ont été drastiquement réduites, alors que les filiales de Belgrade, Sofia et Lisbonne seront vendues. La mesure s'inscrit dans le plan de réorganisation de l'audiovisuel public extérieur français, qui prévoit plus de 200 suppressions de postes et qui a été à l'origine, en mai 2009, de la plus longue grève du secteur depuis 1968 (elle est encore en cours). Pour le Monde diplomatique, la restructuration de RFI, troisième radio internationale au monde, avec 45 millions d'auditeurs dans 74 pays, témoigne de la baisse de l'importance géopolitique de certains pays, notamment européens, aux yeux de Paris, qui compte privilégier de nouvelles cibles "essentiellement en Afrique".

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