Inondations à Madhepura, en Inde, en 2008. Photo: Steve/Flickr

Copenhague ou le chaos

Soit nous réduisons brutalement nos émissions de gaz à effet de serre, soit nous risquons de ne plus reconnaître notre planète. Voilà le choix cornélien auquel est confronté le monde alors que s'ouvre le sommet de Copenhague sur le changement climatique, affirme Johann Hari, de The Independent.

Publié le 7 décembre 2009 à 12:12
Inondations à Madhepura, en Inde, en 2008. Photo: Steve/Flickr

Le réchauffement planétaire, Mohammed Nasheed sait ce que ça veut dire, car il le vit tous les jours. Il a survécu à des années d'emprisonnement et de torture, et a entraîné son pays, les Maldives, vers la démocratie. Il en est aujourd'hui le président, mais ne peut qu'assister, impuissant, à la disparition progressive de sa patrie. Année après année, les eaux montent, engloutissant toujours plus de terres. A ce rythme, elles finiront par tout submerger. Tout cela parce que nous avons libéré des quantités monstrueuses de gaz à effet de serre dans l'atmosphère, et que nous continuons. A moins de faire rapidement marche arrière, les Maldives vont sombrer. A en croire toutes sortes d'études scientifiques récentes, nous sommes partis pour atteindre un réchauffement planétaire de 6°C au cours du siècle. Ça n'a l'air de rien, comme ça. Mais la dernière fois que le monde s'est réchauffé de six degrés aussi rapidement, c'était à la fin du Permien, il y a 250 millions d'années. Résultat ? Presque tout ce qui vivait alors a disparu.

Les seuls survivants étaient de rares coquillages dans l'océan, et une créature ressemblant à un cochon qui a eu la terre ferme pour elle toute seule pendant des millions d'années. La planète était balayée par des “hypergans”, des ouragans si violents qu'ils ont même laissé leur marque au fond de l'océan. Le niveau d'oxygène dans l'atmosphère a dégringolé à 15 %, si bas que tout animal se déplaçant rapidement était condamné à suffoquer. Ces six degrés sont tout ce qui nous sépare d'un monde où nous ne pourrions pas vivre. Il est normal de céder à la fièvre du déni, mais ces dernières années, j'ai eu l'occasion d'écrire depuis trois endroits où le réchauffement a un impact catastrophique : l'Arctique, le Bangladesh et la frontière du Darfour. Je me suis entretenu avec des Inuits qui, incrédules, voient disparaître leurs terrains de chasse historiques tandis que la banquise se disloque et fond. Sur le littoral du Bangladesh envahi par les eaux, j'ai côtoyé des gens qui, du doigt, m'ont montré un point au milieu de la mer et m'ont dit : “C'était là que se trouvait ma maison”.

Mais c'est au Darfour que j'ai eu la vision la plus criante de ce que sera un monde beaucoup plus chaud. Agriculteurs et éleveurs nomades se partageaient les réserves d'eau de la région. Puis, dans les années 90, l'eau s'est peu à peu évaporée. Comme me l'a expliqué un réfugié : “L'eau s'est tarie, et alors, nous avons commencé à nous entretuer pour ce qui restait”. Quand ce dont dépend notre survie disparaît, nous n'attendons pas la mort, nous tuons pour ce qui subsiste. Le sujet, chez les scientifiques, est consensuel, mais chaque fois qu'il est abordé en termes justes, les négationnistes s'emportent et nous traitent d'“alarmistes”. Il y a une différence entre être alarmiste et trouver les faits alarmants. Quand on sait ce que l'on sait, il ne serait pas seulement dément de continuer à recracher des gaz à effet de serre. Cela constituerait un crime. Pourtant, même les hommes politiques qui comprennent les données scientifiques ne croient pas que l'on va progresser à Copenhague, parce que nous devrions tenir compte de la “réalité politique”. Mais dans un conflit entre la réalité politique et sa version physique, c'est cette dernière qui l'emportera. On ne peut pas se tenir à quelques pas d'un ouragan survitaminé et lui hurler : “Désolé, d'après les groupes de discussions, je ne peux pas m'occuper de vous pour l'instant”.

D'autres nous reprochent, à nous qui tentons d'éviter le désastre, d'être négatifs ou de faire peur aux gens. Nous ferions mieux de "mettre l'accent sur le côté positif". Certes, il y a des moments positifs qu'il faut savoir saisir : c'est l'occasion pour nous tous de nous rassembler au nom d'une cause commune et d'être une génération formidable, des héros dont on se souviendra. Mais il serait à la fois curieux et un rien condescendant de commencer par là. En 1936, quand Winston Churchill et George Orwell ont mis en garde contre l'ascension du nazisme, ils n'ont pas enrobé leurs avertissements de sucre ou de sermons pétris de bons sentiments. Ils ont traité les gens en adultes. Une menace terrible se levait à l'horizon, et il fallait l'arrêter. Voilà quelle est notre position aujourd'hui, notre choix. Nous pouvons faire l'histoire. Ou nous suicider.

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