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L’Europe est à l’aube de l’ère de la blockchain

Malgré les nombreux défis, l’UE adopte discrètement la technologie de la blockchain afin de renforcer son Marché unique numérique tout en protégeant les valeurs européennes.

Publié le 13 août 2020 à 14:38

Fin juin, le Conseil européen de l’innovation a octroyé 5 millions d’euros à six innovateurs sociaux à l’occasion du prix “Blockchains for Social Good” (“des blockchains pour le bien commun”).

Un total de 178 projets concurrents venant de toute l’Europe ont montré que la technologie de la blockchain peut apporter des améliorations significatives à un large éventail de domaines comme la transparence des processus publics, la participation au processus décisionnel démocratique, le commerce équitable, l’inclusion financière et l’économie circulaire.

Les six lauréats incluent Kleros, une plateforme française et décentralisée de résolution de contentieux en ligne, Prosume, une plateforme italienne d’échange d’énergie en système pair-à-pair, WordProof, une firme néerlandaise de vérification d’authenticité de contenu, et un système d’assistance en cas de catastrophe permettant d’envoyer de l’argent d’un bout à l’autre de la région du Pacifique.

Accueilli positivement par la commissaire européenne Mariya Gabriel, le prix n’est que l’initiative la plus récente autour de la création d’un écosystème européen pour promouvoir la blockchain. Mais pourquoi l’UE investit-elle des ressources dans une telle technologie ?

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On estime que, d’ici 2030, les technologies de blockchain génèreront plus de 3 000 milliards de dollars par an et que 10 à 20 % de l’infrastructure économique mondiale fonctionnera grâce à des systèmes basés sur la blockchain.

La blockchain est célèbre pour être la technologie derrière le Bitcoin. Décrite comme “une solution novatrice au sempiternel problème humain de la confiance”, la blockchain s’appuie sur la cryptographie pour vérifier les transactions et retrouver leur trace dans un registre chronologique. Ce registre est distribué à un grand nombre d’utilisateurs aux quatre coins du monde et est par conséquent presque impossible à falsifier.

Pour faire simple, une blockchain publique est une base de données où les informations sont stockées simultanément dans des milliers d’emplacements et constamment mises à jour. Tout le monde peut en faire partie, mais personne ne peut réellement contrôler les données stockées.

Sans entrer dans les détails du fonctionnement de cette technologie, il est important de comprendre qu’elle peut être entièrement désintermédiée, transnationale, infalsifiable, transparente, autonome, tout en étant caractérisée par le pseudonymat. La blockchain a été conçue pour s’appuyer généralement sur les incitations, et elle peut représenter une méthode efficace pour parvenir à un consensus entre des parties qui ne se connaissent pas ou ne se font pas confiance.

Au cours de ces dernières années, la blockchain a été accueillie par un nombre grandissant d’enthousiastes partout dans le monde non seulement comme une technologie révolutionnaire qui changerait le monde tel que nous le connaissons, mais aussi comme une façon de bâtir une société plus libre, démocratique et transparente, qui donnerait plus de pouvoir aux citoyens et aux utilisateurs.

Il ne fait aucun doute qu’il y a eu un engouement technologique significatif pour la blockchain, ce qui a contribué à un bon nombre de faux espoirs. Toutefois, la majorité des experts reconnaissent actuellement qu’elle jouera dans notre société future le rôle d’une technologie plus fondatrice que perturbatrice.

L’innovation a un prix

Pour ce qui est de l’expérimentation sur la blockchain, l’Europe occidentale a dépensé 674 millions de dollars en 2019, ce qui n’est surpassé que par les 1,1 milliards des Etats-Unis.

La majorité des dépenses liées à la blockchain provient des Etats membres plutôt que de l’UE. Ainsi, des pays comme l’Estonie – où la blockchain est employée par le gouvernement depuis près de dix ans – ont un bon train d’avance sur d’autres pays européens qui commencent tout juste à se pencher sur cette technologie.

La Commission européenne essaie d’impliquer davantage l’Union et devrait investir en 2020, grâce au Fonds européen d’investissement (FEI), 100 millions d’euros dans un programme sur la blockchain et l’intelligence artificielle pour augmenter les fonds destinés à la technologie en Europe. 300 millions d’euros supplémentaires devraient provenir d’investisseurs privés par “effet d’attraction”.

L’augmentation du financement, comme l’explique le FEI, montre que l’UE essaye de trouver une solution pour éviter que les innovateurs trouvent un financement aux Etats-Unis ou ailleurs et quittent l’Europe.

Bien que la Chine n’ait investi “que” 319 millions de dollars en 2019, son président Xi Jinping a été l’un des premiers dirigeants à approuver la blockchain en la décrivant comme une “avancée importante pour l’innovation indépendante”. Un tel soutien a été perçu comme un signal d’urgence dans de nombreux pays occidentaux, car des caractéristiques comme l’immuabilité et la transparence peuvent aisément être utilisées par des gouvernements pour instaurer des politiques autoritaires.

Lorsque l’on considère que plus de la moitié des bitcoins du monde sont actuellement produits par quatre entités seulement au sein des frontières chinoises, il est facile de voir en quoi la course à la blockchain pourrait se transformer en une course géopolitique à l’enjeu considérable.

Les piliers de la stratégie blockchain de l’UE

L’UE ne fait pas qu’augmenter les fonds pour la blockchain, elle a aussi discrètement développé une stratégie pour placer le continent à la pointe de l’innovation blockchain sous la supervision de Peteris Zilgalvis, chef de l’unité blockchain.

En février 2018, l’Observatoire-forum des blockchains de l’UE a été fondé pour recenser les initiatives les plus remarquables en Europe et présenter des recommandations aux institutions de l’UE.

L’adoption réussie de la blockchain en Europe pourrait engendrer une amélioration considérable de l’efficacité des corps administratifs publics et une meilleure façon pour les citoyens et les entreprises d’utiliser les services publics.

En ce sens, l’Infrastructure européenne de service blockchain (EBSI) est une initiative très prometteuse. Elle est née en 2018 d’un partenariat entre 30 pays européens pour fournir des services publics transfrontaliers pour toute l’UE tels que la notarisation de documents, la vérification des titres de compétence, l’identité auto-souveraine et le partage de données fiables.

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La nature “trustless” de la blockchain (le fait qu’elle réduit la quantité de confiance requise pour chaque acteur dans le système) semble être adaptée pour coordonner de manière efficace plusieurs acteurs qui souhaitent préserver leur autonomie. Comme l’a observé Peteris Zilgalvis, “la blockchain est idéale pour la gouvernance multi-niveaux de l’UE”. Une blockchain à l’échelle de l’UE avec des nœuds actifs dans tous les Etats membres et la Commission européenne pourrait devenir une part essentielle du processus décisionnel dans un avenir pas si lointain.

Réguler ou innover ?

Comme d’habitude, l’Europe doit faire face au dilemme de réguler ou ne pas réguler.

De la même façon qu’avec internet (où pratiquement n’importe quel citoyen maîtrisant le numérique a pu contourner les lois quelles que soient les tentatives des autorités de contrôler le cyberespace), réguler la blockchain avec une perspective traditionnelle centralisée et territoriale n’est pas une solution viable.

Un besoin manifeste de protéger les citoyens s’est également imposé. Ce besoin est d’autant plus important dans des domaines tels que la vie privée, l’identité et les actifs numériques.

Jusqu’à présent, la Commission européenne a adopté une approche attentiste. Malgré les difficultés issues de la nature décentralisée et transnationale de la blockchain, l’ambition de l’UE est et devrait continuer d’être celle de créer un “norme de référence” en trouvant le juste équilibre entre innovation et intervention régulatrice.

Afin de devenir un leader dans l’arène (crypto)géopolitique, l’UE doit continuer d’investir dans la recherche et le développement et promouvoir des collaborations intersectorielles pour créer un écosystème propice à l’innovation.

C’est après que la difficulté arrive. L’intervention régulatrice sera un banc d’essai de plus pour déterminer jusqu’à quel point les droits et libertés des Européens peuvent être protégés en ligne. Une fois que cette question aura sa réponse, les standards de l’UE pourront même prétendre à être adoptés par le monde entier.

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