Actualité Pêche en Afrique

Du Ghana à l’Europe, itinéraire de la pêche illégale, opaque et impunie

Au Ghana, la pêche illégale décime les populations de poissons vivant près des côtes et en haute mer, mettant en péril la biodiversité, mais également la sécurité alimentaire et l’économie du pays. Des chalutiers chinois aux activités opaques participent à ce déclin, tout comme des navires battant pavillon européen, comme le révèle une enquête menée par Raluca Besliu.

Publié le 6 septembre 2023 à 12:27
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Il est particulièrement difficile de déterminer le nombre exact de poissons pêchés illégalement qui arrivent sur le marché de l'Union européenne. La pêche illicite peut être difficile à repérer, tandis que les prises sont, quant à elles, présentées comme tout à fait légales. Bien que l’UE soit le plus grand marché de produits marins au monde – important plus de 60 % des produits marins qu’elle consomme – un poisson importé sur six n’est pas traçable.

Chaque année, le Ghana connaît un trafic illégal d’environ 100 000 tonnes de petits pélagiques [espèces marines vivant en pleine mer à proximité de la surface, ndlr], principalement des sardinelles, des maquereaux et des anchois. Une grande partie de cette pêche est destinée à l’exportation, y compris vers le marché de l’UE. Alors que ces petits poissons jouent un rôle essentiel dans l’industrie de la pêche au Ghana – et donc dans la sécurité alimentaire et l'économie nationale – leur population a chuté d’environ 80 % au cours des deux dernières décennies. Sans mesures immédiates, un effondrement total de celle-ci est à craindre dans les années à venir.

La pêche illégale pratiquée par les chalutiers industriels est l'un des principaux facteurs de ce déclin brutal. La plupart des navires appartiennent à des entreprises chinoises “au travers d’opaques accords de propriété”, comme l’estime l’Agence des Etats-Unis pour le développement international (USAID).

Pour Samuel-Richard Bogobley, expert à Hen Mpoano, une organisation à but non lucratif  militant pour une gestion harmonisée des écosystèmes côtiers et marins, l’interdiction par le Ghana des chalutiers étrangers a poussé les entreprises de pêche chinoises à utiliser des sociétés ghanéennes comme couverture. Ces dernières organisent généralement de faux contrats de location-vente pour des navires de pêche chinois. Malgré leurs activités interdites au Ghana, certaines de ces entreprises possèdent des licences d'exportation vers l'UE, ce qui leur permet de vendre légalement leurs produits sur le marché européen.

Le pays compte environ 200 000 pêcheurs artisans et quelque 300 sites de débarquement ; la pêche maritime y fait vivre environ 2,7 millions de personnes et contribue à la sécurité alimentaire des habitants. Pour leur subsistance, les pêcheurs artisans se reposent principalement sur les petits pélagiques vivant près du rivage et dans les couches supérieures de l'océan, qui sont accessibles à leurs pirogues.

Bien que le gouvernement ghanéen ait pris certaines mesures pour lutter contre la pêche illégale, comme le lancement d’une application en ligne permettant de la signaler, il reste encore beaucoup à faire. Et l’UE pourrait elle aussi en faire davantage.

Pourquoi une telle diminution des stocks de poissons ?

En 2002, le Ghana a créé une Zone Exclusive Côtière réservée aux pêcheurs artisans, afin de protéger les populations de petits pélagiques. Malgré cela, les navires industriels détenant des permis pour la pêche de fond ont continué leur activité illégale. Puisqu'elles ne peuvent pas ramener à terre leurs prises, les entreprises chinoises les vendent en mer à de petits pêcheurs artisans, qui sont eux légalement autorisés à les pêcher et à les ramener à terre, une pratique appelée “saiko” au Ghana.

Carte du Ghana

Une astuce qui permet aux chalutiers de ne ramener que des prises légales, ainsi qu'une proportion limitée de prises accessoires – (dont des petits pélagiques), répondant ainsi aux exigences des autorités portuaires ghanéennes en matière de débarquement, comme le précise Bogobley. La pratique du saiko est “devenue une industrie à part entière”, explique l’expert, à laquelle participent activement les chalutiers et les pêcheurs artisans. Le poisson ramené légalement par les chalutiers et les pêcheurs artisans est ensuite expédié vers le marché européen. Vu de l’extérieur, tout semble en ordre.

Si la majorité des entreprises sont chinoises, des bateaux et des opérateurs européens sont également impliqués dans des activités illégales au Ghana. Il est toutefois difficile de retrouver les navires de pêche concernés, ceux-ci battant souvent pavillon de pays non membres de l'UE.


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Les navires changent de pavillon pour deux raisons principales : obtenir des quotas de pêche d'autres Etats par l'intermédiaire des organisations régionales de gestion des pêches (ORGP) ou pour contourner les exigences en matière d'autorisation de pêche dans les eaux de pays non membres de l'UE où il existe des accords de partenariat pour une pêche durable (APPD). Ces accords sont normalement négociés par la Commission européenne ; toutefois, un opérateur de l'UE troquant le pavillon d’un navire pour celui d’un pays tiers peut conclure un accord privé afin de continuer à pêcher dans les eaux couvertes par ces APPD.

Le super chalutier Franziska est un exemple emblématique de changement de pavillon : le navire appartient à la société néerlandaise Willem Van der Zwan en Zonen, qui possède…

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