La pauvreté accentue l’érosion des droits (et du vote) en Europe

La droite et l’extrême droite montent en flèche dans une Europe en proie à la pauvreté et aux exclusions. La politique est aussi une question d'inégalités.

Publié le 14 juin 2024 à 12:58

Publiés un peu avant les élections européennes, la dernière enquête Eurobaromètre et le rapport de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne (FRA -Fundamental Rights Agency) dressent un état des lieux édifiant de notre collectivité.

Ainsi l’Eurobaromètre indique qu’à l’approche des dernières élections, les citoyens et citoyennes européens s’inquiétaient principalement de l’augmentation de la pauvreté et de l'exclusion sociale, ainsi que de l’accès à la santé publique. Ces thèmes demeurent d’actualité.

Lisa O'Carroll, correspondante du Guardian à Bruxelles, écrit que “l'immigration n’est pas une priorité pour les électeurs européens, malgré la place centrale que cette question a occupée dans les médias et la campagne des partis de droite au cours de l'année écoulée.

Les citoyens et citoyennes de l’UE auraient souhaité que la lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale (33 %) ainsi que le soutien à la santé publique (32 %) soient les principaux thèmes abordés à l’approche des élections, les autres sujets étant le soutien à l’économie et la création de nouveaux emplois, ainsi que la défense et la sécurité, particulièrement dans les pays voisins de la Russie (Danemark, Finlande et Lituanie). 

En ce qui concerne la santé publique, leur inquiétude est d’autant plus légitime que la pandémie de Covid-19, il y a quatre ans, nous avait pourtant ouvert les yeux sur les problèmes traversés par le secteur médical : baisse, depuis trente ans, du nombre de lits disponibles dans les hôpitaux, pénurie de médicaments, personnel insuffisant et mal payé, etc.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que ces considérations n’ont pas été entendues.

Les résultats ne diffèrent pas tellement de ceux de la même enquête publiée en décembre 2023. Rappelons en outre qu’en 2022, selon Eurostat, 95,3 millions de personnes dans l'UE étaient menacées de pauvreté ou d'exclusion sociale, soit 21,6 % de la population.

La pauvreté est un mal qui s’attaque aussi aux droits

Dans EUobserver, Nikolaj Nielsen présente un compte rendu du dernier rapport de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne (FRA). Selon cette dernière, les droits fondamentaux sont menacés en Europe, non seulement à la suite de pratiques gouvernementales portant de plus en plus atteinte à la démocratie, mais aussi en raison de l’augmentation de la pauvreté et de l’exclusion sociale.  

Une personne sur cinq dans l’UE a basculé dans la pauvreté en raison de l’augmentation du coût de l’énergie et du coût de la vie”, souligne le texte, qui ajoute que les populations les plus touchées et dont les droits fondamentaux sont les plus menacés sont les enfants, les femmes, les jeunes, les minorités ethniques et raciales, les personnes âgées, les personnes LGBTQIA+, les Roms et les personnes handicapées.

Selon la FRA, les raisons de cette situation résident dans les conflits géopolitiques et la montée du racisme ainsi que dans la répression de plus en plus sévère de la société civile qui s’en indigne. “Des ingérences excessives de l’Etat, en particulier contre les droits à la liberté d’association, de réunion pacifique et d’expression, ont menacé l’espace dévolu à la société civile”, explique l’Agence. 

Dans Tageszeitung, Alexandra Kehm dresse un parallèle avec l’Allemagne : “Les personnes [identifiées comme] asiatiques, musulmanes ou noires sont davantage confrontées à la pauvreté que le reste de la population”. Elle s’appuie à cet égard sur les conclusions du rapport intitulé Les limites de l’égalité : racisme et risque de pauvreté  (Grenzen der Gleichheit: Rassismus und Armutsgefährdung, 2024), selon lequel le pourcentage de femmes (10 %) et d’hommes (9 %) menacés de pauvreté monte à 38 % s’il s’agit de femmes musulmanes et à 41 % dans le cas des hommes musulmans. 

Comment avancer vers plus de droits ?

En s’appuyant notamment sur la Directive relative au travail via une plateforme ou sur celle relative aux salaires minimaux, Esther Lynch, secrétaire générale de la Confédération européenne des syndicats (CES), et Bart Vanhercke, directeur de recherche à l'Institut syndical européen, estiment quant à eux qu’une tendance, même timide, se dessine en faveur d’une Europe sociale.

En avril 2024, la Déclaration de La Hulpe a donné un nouvel élan au Socle européen des droits sociaux, une initiative prometteuse et remplie de bonnes intentions. Signée par la Commission européenne, par le désormais ex-Premier ministre belge Alexander De Croo (Open VLD, centre droit) au nom de 25 Etats membres de l’UE (tous exceptés la Suède et l’Autriche), par le Comité économique et social européen (CESE) et par une grande partie des partenaires sociaux et de la société civile, cette déclaration devrait servir de cadre à l’avenir de l’Europe sociale en préparant l’agenda pour la période 2024-2029.

Dans la vie des citoyens, toutefois, les progrès sont très lents à se manifester dans les faits. Il suffit de jeter un œil à la presse pour s’en rendre compte. 

Dans le Guardian, l’ancien Premier ministre britannique Gordon Brown (Parti travailliste, centre gauche) dénonce la situation des “enfants de l'austérité”, nés après 2010, qui “représentent 3,4 millions sur les 4,3 millions d’enfants vivant dans la pauvreté au Royaume-Uni”. Ce chiffre n’a cessé d’augmenter ces dix dernières années, au rythme de cent mille enfants par an, à la suite de différentes coupes dans la protection sociale – énumérées dans l’article – dont le gel progressif des allocations familiales, réduites aujourd’hui de 20 %. Brown déplore que “les 14 dernières années ont été marquées par des événements encore plus dramatiques – Brexit, Covid-19 et crise énergétique découlant de la guerre entre la Russie et l’Ukraine, pour n’en citer que trois – mais, aussi dommageables qu'aient été ces événements individuels pour la vie des gens, la seule constante a été l'austérité.

En France, le débat sur la réforme de l’assurance chômage bat son plein (et s’engage dans un avenir incertain désormais lié aux prochaines élections législatives). Le mensuel Alternatives économiques, entre autres, a qualifié cette réforme de “massacre”. “Jamais, depuis 66 ans qu’existe l’assurance chômage, une réforme n’aura autant brutalisé les salariés privés d’emploi et jamais un gouvernement n’aura manié le bâton de manière aussi répétée”, constate Sandrine Foulon, tout en rappelant les coupes significatives réalisées entre 2019 et 2021, puis en 2023. 

La Finlande n’est pas en reste, comme le signale le sociologue Michał Kulka-Kowalczyk (membre du syndicat Teollisuusliitto) dans Krytyka Polityczna. Selon Soste, une association qui regroupe près de 200 acteurs du secteur social et de la santé, les réductions des budgets sociaux prévues par le gouvernement finlandais pousseront 68 000 personnes supplémentaires (dont 16 700 enfants) au-dessous du seuil de pauvreté. Un rapport présenté par l’exécutif finlandais à la Commission européenne élèverait ce chiffre à 94 000 personnes.

Abstention et inégalités

Le résultat des dernières élections européennes est inquiétant, non seulement en raison des voix obtenues par l’extrême droite, mais aussi au regard du faible taux de participation  (50,8 %, avec des pointes observées en Belgique, en Allemagne et au Luxembourg), ce que l’on a trop tendance à ignorer. La moitié des personnes en droit de voter – c’est-à-dire pratiquement la moitié des citoyens européens – a donc décidé de ne pas participer à cet exercice démocratique (ou n’a pas pu, n’a pas su ou n’y est simplement pas parvenu). C’est en Croatie et en Bulgarie, deux pays parmi les plus pauvres de l’UE, que le taux de participation a été le plus bas. 

Les inégalités sociales et territoriales exercent une influence considérable sur la participation politique”, explique Clara Martínez-Toledano, professeure d’économie financière et coordinatrice du projet Wealth Distribution de World Inequality Database. “Des études ont démontré que l'abstention est plus élevée dans les pays où les salaires moyens sont plus faibles. En outre, dans chaque pays, l'abstention est plus prononcée dans les régions plus pauvres et parmi les personnes de faible statut socio-économique”. Elle ajoute que “l'extrême droite gagne du terrain dans la plupart des pays de l’UE. En mettant l’accent sur des thèmes socio-culturels, dont la question migratoire, elle réussit à séduire un électorat issu de milieux socio-économiques précaires, qui s’est senti abandonné par les partis de gauche pour qui il votait autrefois.”

Et une (autre) réalité s’impose : 5 % de la population européenne détient 43,1 % de la richesse totale du continent, tandis que 50 % des Européens les moins aisés économiquement ne possèdent que 8 % de cette même richesse. Pourtant, au cours des 30 dernières années, la plupart des pays de l’Union européenne ont supprimé leur impôt sur la fortune.

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