Sven Krüger

Le nazi d’à côté

Tout à l'Est de l’Allemagne, l'extrême droite impose ses valeurs dans plusieurs villages. Quelques habitants ont décidé d’entrer en résistance, mais leur combat reste bien solitaire.

Publié le 15 février 2011 à 16:33
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Pour une fois, les Lohmeyer ont passé une bonne semaine. Dimanche, un commando d’intervention spéciale des forces de police a embarqué leur pire voisin. Depuis mardi, la plaque en laiton qui proclamait "Jamel, communauté libre, sociale, nationale" - et signalait clairement au visiteur qui faisait la loi ici -, a disparu de l’entrée du village. Même le poteau indicateur pointant vers Braunau, lieu de naissance d’Adolf Hitler, a finalement été retiré sur ordre des autorités.

Le village de Jamel ressemble enfin à n’importe quel autre de la région, et non au bastion nazi qu’il demeure néanmoins. Cette année, pour le réveillon, les Lohmeyer ont été invités à Berlin par le président allemand, Christian Wulff, et ils ont reçu des dizaines de lettres de soutien de toute l’Allemagne et de l’étranger. Le musicien et sa femme, auteur, font désormais figure de citoyens modèles, même s’ils aspirent toujours au même calme que lorsqu’ils ont quitté Hambourg, il y a six ans. C’est à cette époque qu’ils sont arrivés à Jamel, hameau caché entre Wismar et Grevesmühlen [dans le Land de Mecklembourg-Poméranie occidentale, au Nord-Est du pays], au bout d’une impasse, et au-delà des limites de la démocratie.

Des rats crevés dans leur boîte aux lettres

Les policiers ont une nouvelle fois interpellé Sven Krüger, un militant du NPD déjà condamné à douze reprises. Krüger, 36 ans, s’était bâti un petit empire nazi à Jamel et dans les environs. "Nos gars font le sale boulot", peut-on lire à l’entrée de l’entreprise de démolition qu’il dirige dans le village voisin de Grevesmühlen.

Krüger est réputé comme un homme particulièrement violent qu’il vaut mieux éviter. Il est actuellement en détention provisoire, accusé de recel et d’infraction à la loi sur le port d’armes. Il suffit de jeter un œil sur sa permanence de Grevesmühlen, où le NPD a établi son quartier général, pour comprendre à quel courant de pensée il adhère. Le bâtiment est protégé par des clôtures en bois et des rouleaux de barbelé, derrière lesquels se dresse un mirador équipé d’un projecteur. Des chiens aboient dès qu’un passant s’approche. Le quartier général du NPD ressemble fort à un camp de concentration, et c’est voulu.

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Les Lohmeyer ont appris avec un mélange d’effroi et de soulagement que Krüger restait provisoirement derrière les barreaux. Oui, ils ont peur de lui et de ses compagnons. "Ils pensent que le village leur appartient", explique Birgit Lohmeyer, qui a déjà trouvé des rats crevés dans sa boîte aux lettres. Elle nous parle de cela et des exercices de tir dans la forêt avec un air dégagé. Les beuveries entre camarades nazis sur la place du village ont pourtant de quoi inquiéter. Le soir, des hommes braillent des chants nazis autour d’un feu de camp. Cet été, quand Krüger s’est marié, des centaines de militants d’extrême droite sont venus participer à la fête dans le village "national libéré" de Jamel.

Les héritiers de Himmler

Jamel n’est toutefois pas le seul village où les néonazis et le NPD prennent de plus en plus leurs aises. Deux villages voisins sont également terrorisés par les extrémistes. Ici, personne ne veut parler ouvertement de ce problème. "La plupart des habitants se disent : il ne faut pas s’étonner si celui qui se penche trop par la fenêtre finit par tomber", remarque Horst Lohmeyer à propos du climat de peur qui règne dans la région. En 2007, sa femme et lui ont toutefois osé franchir le pas quand un journal décida d’écrire sur Jamel. Tous les habitants du village ne sont pas des nazis, déclarèrent-ils. Depuis, les rares voisins qui ne font pas partie des affidés de Krüger ont rompu tout contact avec eux.

Dieter Maßmann connaît bien ce sentiment de solitude. Maire de Hoppenrade, petit village situé à une centaine de kilomètres à l’Est, il habite dans une région pleine de hameaux comme celui de Jamel et confrontés au même problème. Il nous raconte une étrange histoire : les familles extrémistes font partie du mouvement des Artamans. C’est ainsi que se surnomment les "paysans de sol et de sang" venus s’installer après la réunification. Ils se considèrent comme les héritiers du mouvement populaire des Artamans fondé dans les années 20 et dont firent partie Heinrich Himmler, chef des SS, et Rudolf Höß, commandant du camp d’Auschwitz.

Les enfants chantent des chants nazis

Les "néo-artamans" font mine d'être paisibles. Ils ont beaucoup d’enfants, font de l’agriculture bio, sont opposés aux OGM et soutiennent le NPD, qui compte six représentants à l’assemblée régionale. En 2009, un incident est toutefois survenu dans une crèche non loin de Hoppenrade : les enfants de familles d’Artamans se sont mis à entonner des chants nazis qu’ils avaient appris pendant les vacances. Ce sont des gens intelligents et habiles. "Ils tentent d'être d'avantage présents dans l'espace public à travers des associations et les pompiers", explique Massnahm.

Deux fois par an, les renseignements généraux viennent former les représentants municipaux. Mais en dehors de cela, les soutiens sont rares. Tous les étés, les Lohmeyer organisent un festival de musique afin de montrer aux nazis que le village ne leur appartient pas encore complètement. Ce qu’ils demandent ? L’interdiction du NPD. C’est le seul moyen de priver les néonazis de base organisationnelle. Dieter Maßmann est du même avis. Ils ne se raccrochent toutefois pas trop à cet espoir : tant que Berlin ne considérera l’extrême droite que comme un problème de l’ex-Allemagne de l’Est, leurs chances d’aboutir seront minces. Au mois d’août, les Lohmeyer organiseront de nouveau leur festival. "On a besoin de nous ici", déclare Birgit Lohmeyer.

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