L’Europe politique est née

Gouvernement européen orienté à droite d'un côté; "shadow cabinet" constitué des oppositions de gauche de l'autre : la crise économique et financière établit peu à peu les bases d'un démocratie à l'échelle de l'UE, constate l'éditorialiste français Bernard Guetta.

Publié le 9 mars 2011 à 15:38

L’Union européenne a tant déçu, lassé, braqué ses citoyens qu’elle finit par passer inaperçue. Injuste ou pas, le fait est là, mais c’est à tort qu’on la croit réduite à la survivance bureaucratique d’une ambition perdue. Ebranlée par le krach financier de 2008 puis menacée par les faillites de la Grèce et de l’Irlande, l’Union a été si bien contrainte de faire face à ces crises à rebonds qu’elle vient, au contraire, de vivre comme un premier instant d’Europe politique.

A la veille du Conseil européen qui examinera, vendredi, les propositions franco-allemandes de pacte économique commun, la droite et la gauche européennes se sont réunies le week-end dernier, l’une à Helsinki, l’autre à Athènes, pour débattre de ce pacte dont Nicolas Sarkozy a imposé le principe et Angela Merkel le contenu.

Le Parti populaire européen, la droite, n’en a pas dit grand-chose car il ne pouvait pas contredire ses deux chefs de file. La gauche, en revanche, le Parti socialiste européen (PSE), a non seulement pourfendu un texte qui est "guidé, a-t-elle dit, par la volonté d’institutionnaliser l’austérité et d’affaiblir nos modèles sociaux et nos systèmes de protection sociale", mais également formulé des contre-propositions qu’elle affirme "socialement responsables et économiquement crédibles".

Un programme paneuropéen des gauches européennes

Le PSE souhaite le développement d’une "politique industrielle européenne" à même de créer des emplois par des investissements d’avenir ; l’adoption de normes sociales communes et, notamment, d’un revenu minimum dans chaque pays ; la mise en place d’une fiscalité écologique et d’une taxe sur les transactions financières de 0,05% qui "générerait 200 milliards de revenus supplémentaires par an" ; l’émission d’eurobonds, emprunts européens destinés à financer des projets transfrontaliers et à gérer en commun une partie des dettes publiques ; il attend enfin la renégociation des aides financières apportées aux Etats membres en difficulté pour abaisser les taux d’intérêt qui leur ont été imposés et d’allonger leurs délais de remboursement.

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D’inspiration keynésienne, ces propositions de la social-démocratie européenne visent à la fois, dans la plus pure tradition de la gauche réformiste, à doper la croissance et rééquilibrer les comptes publics par l’augmentation du pouvoir d’achat et la création d’emplois, à promouvoir la cohésion sociale et la cohésion économique entre Etats de l’Union européenne et à tirer le développement industriel par l’investissement public.

Il s’agit là de la première ébauche d’un programme paneuropéen des gauches européennes dont l’adoption a été permise par le recul des courants sociaux-libéraux du PSE mis à mal par le krach de Wall Street et, plus généralement parlant, par le grand retour des idées de régulation politique des marchés. De la Scandinavie à l’Allemagne en passant par la Grande-Bretagne, les partis sociaux-démocrates en reviennent désormais à leurs fondamentaux tandis que les droites européennes tempèrent leur libéralisme, à Berlin comme à Paris.

Le climat politique commence à changer

Non seulement le climat politique commence à changer en Europe, mais, bien plus important encore, depuis trois ans, l’idée de politiques économiques communes s’impose de plus en plus nettement dans l’Union avec l’acceptation par les 27 du principe d’une "gouvernance économique commune", la pérennisation du fonds de solidarité financière créé pour sauver la Grèce de la faillite et, maintenant, traduction de cette évolution, l’idée du pacte franco-allemand auquel les gauches opposent leur pacte alternatif.

En pointillés encore mais tout de même, l’Union tend à devenir une démocratie en elle-même dans laquelle une majorité (de droite en l’occurrence) formule une politique paneuropéenne que l’opposition européenne conteste en avançant ses propres idées. Encore incertaine et fragile, c’est une métamorphose qui s’amorce là, d’autant plus frappante qu’elle est le fruit de la nécessité et donc plus solide que la simple expression d’un volontarisme ; que c’est, paradoxalement, à des évolutions de nature fédérale qu’aboutit l’affaiblissement des institutions communautaires au profit des grands Etats et que les gauches allemande et française, de plus en plus proches, toujours plus en connivence après avoir été si divergentes, ont de bonnes chances de revenir aux commandes en 2012 et 2013.

Sans qu’on ne le voie ni veuille y croire, l’Union se remet en mouvement et, de même qu’il y a déjà des réunions communes des gouvernements allemand et français, le PS français et le SPD allemand viennent de confirmer à Athènes que leurs directions tiendraient désormais des sessions communes. Face à ce qui tient lieu de gouvernement de l’Europe, un shadow cabinet, un gouvernement européen d’opposition, se met en place.

Finance

Les eurodéputés veulent taxer les transactions

Le 8 mars, par 529 voix contre 127, "les députés européens ont apporté un soutien fort à l'introduction d'une taxe sur les transactions financières en Europe", rapporte le Financial Times. Mais le vote du Parlement n'est pas contraignant, précise le quotidien, et la Commission européenne, à qui il revient de proposer les mesures législatives pour établir une telle taxe, a fait savoir que cette idée était "prématurée". Mais d'ici l'été, ajoute le FT, les responsables de la Commission devraient "présenter ses conclusions sur les différentes options pour taxer le secteur financier. Entre autres possibilités, ils étudient une taxe sur les activités financières ainsi qu'une taxe sur les transactions".

Du côté des Etats, explique Le Monde, "l'Allemagne comme l'Autriche défendent depuis longtemps le projet d'une telle taxe, mais d'autres pays européens craignent qu'elle ne provoque une fuite des capitaux si elle n'est adoptée qu'au niveau de la seule zone euro." La France, qui préside le G20, envisage de proposer cette taxe à une échelle mondiale lors du prochain sommet du groupe.

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