Le président de la BCE lors de sa conférence de presse à Francfort, le 2 août.

Mario Draghi : sauveur ou bourreau de la zone euro ?

La BCE interviendra probablement, mais les Etats doivent d’abord demander de l’aide. Le message délivré par le président de la Banque centrale européenne suscite de vives réactions dans la presse européenne, qui spécule sur son pouvoir réel.

Publié le 3 août 2012 à 15:08
Le président de la BCE lors de sa conférence de presse à Francfort, le 2 août.

“Draghi se plie” à la volonté allemande, s’insurge ABC. Le président de la Banque centrale européenne a conditionné toute intervention de la BCE sur les marchés de la dette à une demande d’aide de l’Espagne et de l’Italie au Fonds européen de stabilité financière. Et selon la volonté du gouvernement et de la banque centrale allemands, cette aide serait assortie d’une politique de rigueur sous surveillance européenne. Pour le quotidien conservateur, Mario Draghi est “le reflet d’une UE impuissante".

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La partie de cartes que semble jouer la BCE en suivant les directives des Etats membres du Nord est totalement inacceptable à un moment critique comme celui que nous vivons actuellement. [...] Pour que l’euro soit réellement irréversible [un adjectif utilisé par Draghi], il doit être soutenu par des institutions solides et crédibles sous une direction claire et résolue, des qualités que la BCE n'a pas montré dans la crise.

El País, de son côté, considère que “la BCE pousse l’Espagne vers un autre sauvetage.” Le quotidien de centre-gauche estime que Mario Draghi dispose désormais de “tous les pouvoirs” :

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Il s'est servi de l'attente générée [lorsqu'il a déclaré que la BCE ferait le nécessaire pour sauver l'euro] pour télécommander tous les mouvements importants de la politique européenne dans les semaines à venir. Un : l’Espagne est condamnée à faire toutes les réformes imposées par l’Europe et à demander un humiliant deuxième sauvetage [après celui des banques espagnoles]. Deux: l’Italie va indirectement bénéficier du sauvetage espagnol, mais il est très probable qu’elle se verra également obligée d’en demander un quand sa situation politique sera clarifiée. Trois : les partenaires européens doivent donner leur visa à ces deux sauvetages sans conditions supplémentaires excessivement onéreuses en termes politiques. Et quatre : si tout se passe ainsi, l’Allemagne et sa Bundesbank devront laisser tomber leur ultra-orthodoxie et laisser les mains libres à la BCE. Enfin tout le pouvoir pour Draghi, un rêve de nouveau Richelieu de la politique continentale. [...] La manoeuvre n’a qu’un problème : elle continue de se baser sur cette supercherie chimérique selon laquelle le Sud doit continuer à couper dans ses dépenses pour que la confiance revienne.

En Italie, le Corriere della Sera constate que la “cure de Draghi déçoit les marchés”. Mais pour le quotidien, “cette manoeuvre mal comprise sera cependant utile”, et les marchés ont tort :

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Draghi a donné tout ce qu’il pouvait, en sauvegardant l’autonomie de la BCE, compte tenu des contraintes politiques et institutionnelles dans l’Europe d’aujourd’hui. [...] Premièrement, sans s’engager à des interventions spécifiques, le président de la BCE ne ferme pas la porte à des interventions futures. En outre, il rappelle aux politiques une vérité cruciale : la possibilité et la demande d’un sauvetage, avec ses conséquences plaisantes et déplaisantes, ne sont pas du ressort de la BCE mais des gouvernements et de leurs électeurs.

“Draghi prudent, les marchés chutent”, constate La Stampa. Mais pour le quotidien turinois, la faute n’en revient pas au président de la BCE :

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Il y a trop d’écart entre l’impatience des marchés et le temps des décisions politiques et économiques : les marchés devraient être moins nerveux et les politiciens plus rapides. [...] La tentative, suggérée et attendue par beaucoup, d’étouffer d’un coup le spread [l’écart entre les taux d’intérêts sur les dettes italienne ou espagnole et la dette allemande] et les désordres complexes de la zone euro avec le bazooka de la BCE, aurait permis des célébrations pendant quelques jours, peut-être quelques semaines, mais au prix de sérieuses déceptions à venir. Et si la BCE négligeait le rôle des autres institutions communautaires, cela réduirait leur crédibilité, sans bénéficier à la sienne.

Côté allemand, Handelsblatt craint que le président de la BCE ne soit “sous la coupe des marchés” et poussé à intervenir pour racheter de la dette, tandis que le Financial Times Deutschland [approuve](http://www.ftd.de/politik/europa/:ezb-sitzung-draghis-weiser-plan/70071809.html#utm_source=rss2&utm_medium=rss_feed&utm_campaign=/politik [03/08/12 16:27:37] Carolin Lohrenz: http://www.handelsblatt.com/meinung/kommentare/ezb-draghi-wird-zum-getriebenen-der-maerkte/6953944.html) un “compromis très propre”. La Süddeutsche Zeitung salue d’aileurs la double stratégie de Draghi, “qui agit comme le président de l’euro dont l’union monétaire ne dispose pas encore“ en abandonnant le rôle de simple “gardien de l’inflation” pour devenir un “acteur audacieux”, à l’image d’Alan Greenspan, l’ancien patron de la FED américaine.

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Son grand défi est d’expliquer aux citoyens de l’Europe du Sud qu’il ne les aidera que s’ils réforment radicalement leurs économies. Jeudi, il a choisi la stratégie intelligente du “tant...que”. Il a évoqué des achats d’obligations, mais seulement si les gouvernements remplissent les conditions. C’est-à-dire: l’argent n’est pas gratuit, ce serait mortel pour le contribuable allemand.

Ce scepticisme est partagé par*De Volkskrant*. Le quotidien néerlandais estime que Draghi a “nui à sa crédibilité” parce qu’il n’a apparemment pas répondu aux attentes crées par son précédent discours. Mais il comprend sa position :

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Il ne dispose pas des moyens ultimes pour résoudre la crise de la zone euro. Avec toutes sortes de palliatifs comme l’achat d’obligations ou le transfert d’argent bon marché aux banques, il ne pourrait que lutter contre les symptomes de la crise [...] Au final, ce sont les politiciens européens qui ont la clé de la solution. La crise ne peut être conjurée que si les pays forts sont prêts à se porter entièrement garants pour les pays problématiques, et si ces derniers sont prêts à renoncer à leur souveraineté.

A Vienne, Die Presse observe que “la BCE est paralysée par la lutte de pouvoir sur l’aide financière“. Et pour le quotidien de centre droit, le perdant est Berlin, qui mène “lutte quasi-déséspérée pour imposer ‘l’union de la stabilité”. Pensant à l’arrêt que la Cour constitutionnelle allemande doit rendre le 12 septembre [sur le Mécanisme européen de stabilité, MES] et aux 59 % d’Allemands qui approuvent la politique d’Angela Merkel dans la crise, la Bundesbank et la chancellière se tiennent à leur “non” ferme au rachat massif d’obligations d’Etat et à l’attribution d’une licence bancaire au MES.

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Mais l’Allemagne est de plus en plus isolée. [Outre le secrétaire américain aux Trésor Timothy Geithner et le pourtant très germanophile Finlandais Jyrki Katainen], le nouveau président français, et les Premiers ministres italien et espagnol sont en train de bâtir un nouvelle axe pour construire un contre-pôle à la politique d’austerité prescrite par l’Allemagne.

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