La tour de la Guaita, sur le sommet de la roche du Titano, surplombant la plaine de Romagne.

Mort d’un paradis fiscal

Jadis considéré comme un placement sûr pour les capitaux qui souhaitaient échapper au fisc, la petite république enclavée aux pieds des Apennins a subi de plein fouet la crise économique et le tour de vis imposé par Rome pour contrer la fuite des capitaux.

Publié le 18 octobre 2010 à 10:23
i k o  | La tour de la Guaita, sur le sommet de la roche du Titano, surplombant la plaine de Romagne.

Le paradis fiscal de la République de Saint-Marin se meurt, sous les premières brumes automnales qui recouvrent le rocher. Le dernier avis d’expulsion a été annoncé début octobre, quand la Banque d’Italie a placé l’un de ses administrateurs à la tête de la Caisse d’Epargne de Rimini qui contrôle le Crédit industriel de Saint-Marin, l’une des douze banques de la République. D’après les inspecteurs de via Nazionale [siège de la Banque d’Italie], la loi anti-blanchiment aurait été violée de manière incontestable.

Saint-Marin était autrefois une terre d’émigration. Dans les années 1960, la riviera adriatique a connu un boom économique avec l’arrivée du tourisme et le développement du commerce et de l’industrie. Alors que s’installait l’aisance matérielle, on a vu apparaître les premiers fonds non déclarés au fisc : des hôteliers et des commerçants venaient d’Emilie-Romagne pour déposer leurs bénéfices à Saint-Marin.

Le crime organisé y a planté ses racines

Jusqu’à l’overdose des années quatre-vingt-dix. A côté des quatre banques historiques, 59 sociétés et huit organismes de crédit s’occupent essentiellement de collecter des fonds et de les investir, mais offrent très peu de services financiers : un vrai pays de cocagne pour tous ceux qui veulent faire transiter des capitaux illégaux. Car l’argent sale attiré par Saint-Marin ne vient pas que d’Italie : neuf euros sur dix arrivent de l’étranger. Les Russes sont apparus pour faire du commerce de gros et le crime organisé a planté ses racines dans l’Etat enclavé.

Les scandales financiers n’ont alors pas tardé à éclater, comme celui du groupe Delta, contrôlé par la glorieuse Caisse d’Epargne – créée à la fin du XIXe siècle grâce à l'épargne des paysans et des ouvriers –, devenue au fil du temps le centre des malversations. Le paradis fiscal a fini par déchanter avec le tsunami économique mondial, la mise en demeure des paradis fiscaux, l’établissement des listes noires de l’OCDE et l’embargo du gouvernement italien.

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Saint-Marin avait dépassé toutes les bornes

Cette époque est révolue. Saint-Marin avait dépassé toutes les bornes”, reconnaît Marco Arzilli, le secrétaire d’Etat à l’Industrie. Le gouvernement actuel – une coalition de la démocratie chrétienne sur le déclin, en place depuis 2008 – fait tout son possible pour ôter l’étiquette de capitale des fraudes qui colle au rocher. “Lorsque nous sommes entrés au gouvernement, l’Etat était en procédure de conformité renforcée de moneyval et figurait sur la liste grise de l’OCDE. En deux ans, nous avons fait bouger énormément de choses”, renchérit la secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères, Antonella Mularoni.

Nous avons aboli les sociétés anonymes et le secret bancaire ; en termes de transparence bancaire, nous nous sommes alignés sur les modèles internationaux ; nous avons fermé de nombreuses entreprises fictives. Enfin, nous nous apprêtons à signer deux accords : le premier, sur la collaboration entre notre police et la police italienne, le second, sur l’autorisation octroyée aux inspecteurs de la Banque d’Italie d’entrer dans les institutions de notre République. Le problème, c’est que, sur cette question, le gouvernement italien fait la sourde oreille”. Tout comme le FMI, à Washington.

Cette attitude est totalement incompréhensible”, ajoute-t-elle. Une chose est sûre : à Saint-Marin, les banquiers se sont fait discrets. L’année dernière, le reflux des capitaux a été dévastateur : la banque centrale parle d’une baisse de 35%. Les fraudeurs du fisc ne font plus confiance au mont Titan [le mont sur lequel est bâti Saint-Marin] et les boucliers fiscaux [votés en Italie] ont vidé tous les coffres-forts : une fuite de presque six milliards sur les 14 milliards d’euros déposés.

"On veut notre peau"

Entre-temps, la crise touche toutes les professions, avec une diminution des embauches et des liquidités des organismes qui ne peuvent accéder au marché interbancaire. Enfin, pour couronner le tout, un géant comme la banque UniCredit veut mettre un terme à son alliance historique avec la Banca Agricola e Commerciale. “On veut notre peau”, affirme avec conviction Marco Beccari, secrétaire du syndicat démocratique des travailleurs de Saint-Marin. “Bien sûr, ceux qui ont agi malhonnêtement ont terni notre image. Mais, dans le fond, notre économie est saine, et nous devons la protéger. 31 000 habitants, 20 000 travailleurs, dont 6 500 venant d’Emilie-Romagne”.

Quelque 4 000 employés dans le secteur public et 15 000 salariés du secteur privé – dans les domaines du commerce, de la mécanique, de la sidérurgie, de l’industrie pharmaceutique et de la céramique – travaillent dans les régions industrielles près de la frontière avec Saint-Marin. Ce microcosme, qui n’avait pas bougé d’un pouce pendant des années, subit aujourd’hui les conséquences des mesures fiscales drastiques du gouvernement italien.

Il est question d’un déficit de 80 millions d’euros dans le budget de l’Etat saint-marinois cette année, et au moins du double pour 2011. On évoque l’intervention éventuelle du FMI qui soutiendrait la République de Saint-Marin avec des lignes de crédit, comme avec la Grèce ou l’Argentine. “Certaines entreprises sont retournées en Italie ; d’autres n’acceptent plus nos factures. Nous sommes considérés comme des pestiférés”, se plaint Beccali.

La Ligue du nord en dernier espoir

La crise économique est passée par là : l’année dernière, 1% des travailleurs a perdu son poste. 1 500 salariés sont au chômage technique. Et le travail au noir a augmenté. Ces chiffres peuvent paraître dérisoires, mais ils pèsent lourd sur le monde idyllique de Saint-Marin, qui a toujours connu le bien-être et la générosité : des retraites calculées sur la rétribution, des restaurants d’entreprise proposant des repas à 1,50 euro, une bonne couverture sociale, l’obtention de prêts pour l’achat d’une résidence principale et pour les crèches.

Ces garanties sont menacées aujourd’hui par l’embargo venant de Rome et aggravées par la chute de l’immobilier. Sur le mont Titan, on a construit sur le moindre strapontin, l’immobilier étant l’un des réseaux de blanchiment de l’argent sale. Aujourd’hui, on compte au moins 7 000 biens immobiliers vides. “Notre objectif est de sauver l’économie saine”, explique-t-on à la Chambre de commerce. “Sinon, tout va sauter, y compris pour les travailleurs italiens et les entreprises des environs qui réalisent les commandes provenant de Saint-Marin”.

Il ne reste qu’un seul espoir : la Ligue du nord, qui obtient de nombreux votes chez les travailleurs de la région limitrophe de la République. “Ce sont les seuls qui pourraient ramener le gouvernement italien à la raison”, raconte-t-on à Saint-Marin, rappelant que le ministre italien de l’Economie, Giulio Tremonti, a autrefois été conseiller des banques de Saint-Marin…

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