Entre juin et novembre 2022, le groupe russe Segezha – la plus grande entreprise de bois du pays – s’est graduellement désengagé des moratoires portant sur l’exploitation des forêts russes à haute valeur environnementale, ces dernières étant situées en Carélie, ainsi que dans la république des Komis, les territoires de Krasnoïarsk, d’Irkoutsk et d’Arkhangelsk. Selon des données du Fonds mondial pour la nature (World Wildlife Fund ou WWF), l’exploitation de toute cette zone forestière est à présent autorisée sur 1,5 million d’hectares, Segezha lui ayant retiré toute protection environnementale. En Carélie, la société a déjà décimé 680 hectares de forêt de grande valeur.
Segezha refuse désormais d’épargner cette précieuse forêt sous prétexte que le principe de l’exploitation durable des terres n'a plus aucun intérêt économique pour l’entreprise, si l’on en croit des écologistes interrogés par iStories.
Suite à l’invasion de l’Ukraine, l’Union européenne a imposé des sanctions sur l’importation du bois russe (et de ses produits dérivés). Par ailleurs, l’organisation internationale Forest Stewardship Council (FSC) a également suspendu les certificats de gestion durable des forêts en Russie. Jusque-là, les sociétés russes devaient s’engager à préserver des parcelles de forêt ancienne au sein des fonds forestiers qu’elles louaient afin d’obtenir une certification qui leur permettait de faire des affaires sur les marchés européens.
Olga Ilina, porte-parole de l’ONG SPOK, qui œuvre pour la préservation de la nature de Carélie, explique : “Notre coopération avec Segezha ne date pas d’hier. Les valeurs écologiques portées [par l'entreprise] sont primordiales.” Mais elle ajoute que Segezha a cessé d’appliquer les moratoires sur l’exploitation forestière à partir du moment où l’entreprise n'a plus eu accès aux “marchés sensibles à l’écologie” suite à l’invasion russe.
Une fonction cruciale pour l’environnement
La zone que Segezha a retirée du moratoire sur l'exploitation forestière se trouve être l’une des dernières grandes étendues de taïga encore intactes en Carélie. Des chercheurs y ont repéré de grands troupeaux de cerfs des forêts boréales, une espèce en voie de disparition, ainsi que plus de 70 espèces de plantes, de champignons et d’animaux menacés. Si l’entreprise continue de transformer cette forêt – où les arbres peuvent atteindre l’âge de 300 ans – toutes ces espèces en souffriront. Et la population aussi.
“Les forêts intactes créent des conditions climatiques favorables. Les vagues de sécheresse, les températures extrêmes et les chutes de pluie intempestives sont des évènements climatiques nocifs liés au réchauffement climatique, tout comme la disparition des forêts intactes”, déclare Olga Ilina. “Il est incontestable que les écosystèmes naturels préservés influent sur la stabilité du climat. Si nous les détruisons, nous détruisons l’avenir de nos enfants.”
En Carélie, les écologistes ont tenté de convaincre Segezha de maintenir l’interdiction d’exploiter la taïga intacte. “Ils ont dit qu’ils avaient levé le moratoire parce que le FSC avait abandonné la Russie. Mais cette région contient des ressources précieuses à préserver, que l’entreprise soit certifiée ou pas”, rapporte le président de SPOK. “En toute honnêteté, nous pensions que le bon sens l’emporterait.”