Vladimir Poutine élimine la concurrence

En quelques jours, le chef du Kremlin a éliminé son principal adversaire et seul concurrent crédible à l'élection présidentielle de mars, tout en donnant à l'"idiot utile" américain Tucker Carlson une leçon de propagande et de manipulation. Pendant ce temps, en Ukraine, le président Zelensky limoge le commandant en chef de l'armée dans le contexte des défis auxquels le pays est confronté.

Publié le 20 février 2024 à 12:54
Olivier Ploux-Critical Eastern-Voxeurop

La semaine qui vient de s'écouler a été riche en événements en Europe de l'Est. En Russie, Alexeï Navalny, le plus célèbre opposant au régime de Vladimir Poutine, est décédé dans la colonie pénitentiaire de Sibérie où il était détenu depuis août dernier, tandis qu'un épisode mineur du drame électoral a trouvé sa conclusion : le candidat mi-opposition, mi-système Boris Nadejdine avait tenté de se présenter à la présidence sur la base d'un programme ouvertement anti-guerre.

Si les causes exactes de la mort de Navalny – annoncée par l'administration pénitentiaire russe le 16 février – restent floues à l'heure où nous écrivons ces lignes, il est clair que le régime du Kremlin détestait Navalny et souhaitait sa destruction. En prison, celui-ci a été mis à l'épreuve. Le système pénitentiaire russe, connu pour sa tendance à la cruauté et à la torture des prisonniers, même sans encouragement supplémentaire, a agi cette fois sur ordre d'en haut et a utilisé tous les moyens disponibles pour faire du séjour de l'opposant en prison un cauchemar. Il était clair dès le départ que le régime voulait détruire Navalny, à la fois physiquement et mentalement.

La mort d'Alexeï Navalny n'est pas le premier assassinat politique dans la Russie de Poutine et, à ce stade, elle ne révèle aucune nouvelle vérité sur le régime. Ce n'est certainement pas un événement qui devrait éclipser les victimes ukrainiennes que fait chaque jour l'agression russe. Mais il s'agit d'une mort symbolique. Elle nous rappelle le sort des prisonniers politiques des hommes politiques de l'opposition ; Vladimir Kara-Mourza et Ilia Iachine purgent des peines draconiennes dans les cachots russes.

Pendant ce temps, les efforts de Boris Nadejdine pour participer à l’élection présidentielle n'ont pas abouti, même s'il a recueilli un nombre impressionnant de 200 000 signatures. La commission électorale russe a décidé que quelque 10 000 d'entre elles ne répondaient pas aux critères.


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Et voilà, l'excitation est retombée. Sa candidature ayant été bloquée, Nadejdine ne se présentera pas à l'élection présidentielle, note Vertska. Voilà une nouvelle démonstration que des élections non démocratiques ne sont pas un outil efficace pour renverser une dictature, ni même pour l'endommager.

Depuis quelques semaines, Nadejdine faisait l'objet d'une grande attention de la part des médias. Des centaines de milliers de Russes, hommes et femmes, avaient soutenu sa candidature, faisant la queue par des températures glaciales au siège de sa campagne pour signer leur nom, comme l'exige la loi électorale.

Au cours de la deuxième semaine de février, les médias se sont intéressés à la visite de Tucker Carlson, personnalité de la télévision américaine. Cet ardent partisan de Trump et théoricien du complot était autrefois journaliste, mais il semble s'être séparé de la profession, puisque même Fox News (chaîne de télévision conservatrice américaine, dont Carlson était une des principales figures, ndlr.) ne veut plus de lui.

Carlson s'est rendu à Moscou pour interviewer Vladimir Poutine, affirmant que les Américains n'avaient pas eu l'occasion de connaître le point de vue du président russe.

Il a omis de noter que Poutine a toujours été libre de parler à la presse étrangère, y compris américaine. Mais le président préfère ne pas avoir affaire à de vrais journalistes et il attendait quelqu'un comme Carlson qui écouterait les yeux écarquillés son cours sur l'histoire de la Russie au début du Moyen-Âge.

J'ai résumé mes impressions immédiates concernant l'entretien pour Krytyka Polityczna. Je n’y ai pas entendu grand-chose de surprenant, mais je n'ai pas non plus de raison d'être rassurée. Il est vrai que peu d'Américains regarderont ou écouteront cette interview dans son intégralité. Mais des millions la consommeront sous forme de courts extraits, sélectionnés par les spin doctors de Trump et sortis de leur contexte afin de confirmer leurs thèses.

Le mal est fait et les partisans de la droite américaine trouveront du carburant – certes de faible qualité – dans cette interview. À moins qu'ils ne s'offusquent de la chaleur inattendue des propos du président russe à l'égard de son homologue américain Biden. En effet, Poutine a déclaré sans ambages qu'il préférait que l'élection présidentielle américaine soit remportée par le président sortant, qu'il juge compétent et prévisible. Tels sont les jeux du Kremlin.

De toute évidence, les élections américaines sont plus passionnantes pour les Russes que leur propre scrutin où tout est déjà ficelé depuis longtemps.

Guerre en Ukraine : l’optimisme se fait rare

Mais d’autres événements plus importants que l'aventure de Carlson au Kremlin ont eu lieu récemment.

À la veille du deuxième anniversaire de l'invasion russe, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a limogé son commandant en chef, le général Valery Zaloujny. Cette fois-ci définitivement : une première tentative de limogeage du général avait été avortée fin janvier.

La dernière fois, le général n'a pas pu être persuadé de se retirer. Selon certaines informations, même les alliés occidentaux seraient intervenus à l’époque, ne voyant aucune raison de le démettre de ses fonctions. L'affaire a laissé un arrière-goût de scandale en Ukraine et la conviction générale que Zelensky parviendrait de toute façon à ses fins. La prérogative présidentielle lui permet de révoquer les commandants de l'armée, et les généraux sont sans défense dans un conflit avec le président.

Un accord a été conclu début février. Le général Oleksandr Syrsky, jusqu'à présent commandant des forces terrestres, remplacera Zaloujny en tant que commandant des forces armées ukrainiennes.

Beaucoup en Ukraine ont mal reçu les intentions de Zelensky à l'égard de Zaloujny. Tout comme l'armée, Zaloujny jouissait d'une grande popularité auprès du public.

Entre-temps, le gouvernement ukrainien a commencé à voir sa popularité se dégrader dans les sondages d'opinion. Cette situation est la conséquence de scandales de corruption et de tentatives maladroites de limiter la liberté d'expression. Olga Vorozbyt, rédactrice en chef du magazine Ukrainian Weekly, a écrit à ce sujet pour Krytyka Polityczna.

Les revers sur le front et la perspective de plus en plus ténue d'une fin de la guerre ont également fait du président Zelensky et de son équipe l'objet de la frustration de l'opinion publique. Le départ de Zaloujny est largement perçu – en particulier par ceux qui n'aiment pas Zelensky et son parti politique – comme une nouvelle maladresse politique qui nuit à l'Ukraine.

Mais je pense qu'il convient de prendre du recul et de se demander quels sont les autres leviers dont dispose Zelensky pour sortir l'Ukraine de l'impasse dans laquelle elle se trouve.

Les changements de personnel au sein du haut commandement sont l'occasion d'insuffler un vent de fraîcheur au sein de l'état-major et de faire place à de nouvelles approches et stratégies. Surtout lorsque les précédentes n'ont pas toujours fonctionné.

Bien sûr, il se peut aussi que ce changement aggrave la situation du pays en difficulté. Le général Syrsky, qui a dirigé la défense de Kiev et la contre-offensive sur Kharkiv en 2022, a également la réputation, au sein de l'armée, de ne pas tenir compte des pertes humaines, ce qui pourrait indirectement expliquer son efficacité.

Pourtant, Syrsky a participé à une guerre essentiellement défensive depuis le début de l'agression russe à grande échelle. Jusqu'à présent, le changement au sommet ne s'est pas avéré être un séisme aussi important que prévu, ai-je écrit dans Newsweek Polska, et n'implique certainement pas une trahison des intérêts de l'Ukraine. Ceux-ci restent les mêmes : la victoire sur la Russie et une paix durable.

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