David Cameron et Nicolas Sarkozy lors des cérémonies commémorant l'Appel du 18 juin 1940, à Londres, en juin 2010.

Sarkozy et Cameron : l’union sans la force

Les Etats-Unis freinent des quatre fers pour mener l'opération Aube de l'Odyssée tandis que dans l'Europe divisée, l'Allemagne et la Turquie traînent également des pieds. Pour le Daily Telegraph, la campagne libyenne est avant tout "la guerre que personne ne veut mener".

Publié le 23 mars 2011 à 15:24
David Cameron et Nicolas Sarkozy lors des cérémonies commémorant l'Appel du 18 juin 1940, à Londres, en juin 2010.

Oubliez l'opération "Aube de l'odyssée", un nom attribué de façon semi-aléatoire par l'ordinateur du Pentagone à l'action militaire des Etats-Unis en Libye. Le nom de code de l’intervention britannique, "Ellamy", n'est également plus valable. En fait, il faudrait appeler la campagne libyenne "La guerre que personne ne veut mener".

Nous ne sommes en guerre que depuis quatre jours et d'importantes divisions sur la manière de poursuivre l'action sont déjà apparues à la tête de la coalition. On comprend aisément la réticence de Barack Obama à jouer un rôle de meneur dans un conflit qu'il ne souhaitait pas. Cette guerre, les Etats-Unis n'en voulaient pas.

A la France et l’Angleterre de conduire le bal

Ce sont l'Angleterre et la France qui ont pris l'initiative de solliciter le soutien de la communauté internationale à une zone d'exclusion aérienne. Alors, si Londres et Paris ont tellement envie de se battre avec Kadhafi, pourquoi ne prennent-ils pas la tête de la campagne ?

Après tout, les gouvernements français et britannique n'ont signé qu'à la fin de l'année dernière le nouvel accord de coopération en matière de défense, par lequel ils conviennent de collaborer plus étroitement dans le domaine militaire. Les Français ont même accepté de nous laisser utiliser l'un de leurs porte-avions. Du moins si nous avons un avion à y poser.

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Le premier problème que rencontre l'Europe pour diriger des opérations indépendantes est un net manque de capacité militaire. Lorsque les Nations unies ont instauré une zone d'exclusion aérienne en Irak au début des années 1990, la RAF a mené en moyenne une mission de combat pour cinq de l'US Air Force. Les Français n'ont rien fait parce que leurs Mirage avaient le même profil radar que les avions qu'ils avaient vendus à Saddam Hussein, et ils risquaient donc d'être abattus par les Américains.

Les Etats-Unis restent les maîtres du jeu

Faisons défiler vingt années en "avance rapide", et nous voyons à nouveau les Américains mener le plus gros des opérations de combat. Sur la centaine de missions lancées depuis que les Nations unies ont autorisé une intervention militaire à la fin de la semaine dernière, au moins la moitié ont été accomplies par les Etats-Unis.

Les Britanniques et les Français se sont partagé le reste. Jusqu'à présent, toutes les opérations de combat ont été réalisées sous commandement américain, et c'est le général Carter Ham qui a fait tirer les premières salves de la force de coalition.

Mais la campagne libyenne est différente des dernières campagnes des forces alliées au Kosovo, en Irak et en Afghanistan. Cette fois, M. Obama et ses généraux ont hâte de confier la responsabilité de la mission à quelqu'un d'autre. "Les Européens voulaient la zone d'exclusion aérienne, alors à eux de commander les opérations", disait hier un haut responsable américain.

Les Français n'ont jamais bien accepté les ordres des Américains

Le seul problème avec cette excellente solution est que, comme souvent sur les grandes questions de sécurité, "les Européens" n'arrivent pas à se mettre d'accord sur la façon de diriger la structure de commandement.

Pour commencer, tous les responsables politiques européens n'ont pas soutenu l'instauration d'une zone d'exclusion aérienne. L'intervention militaire est plus l'idée de David Cameron et Nicolas Sarkozy qu'une initiative européenne redoutable. La gourou des affaires étrangères de l'UE, l'inefficace baronne Ashton, a montré toute sa naïveté diplomatique en s'associant aux Allemands contre cette zone d'exclusion.

Des tensions sont même apparues entre Londres et Paris lorsque les Français, avec la bravade qui les caractérise, ont lancé les premières attaques aériennes contre l'armée de Kadhafi samedi après-midi sans prendre la peine d'en informer leurs alliés de l'OTAN.

Mais les Français ont toujours eu du mal à accepter les ordres des généraux américains, même si M. Sarkozy affirme que la France a surmonté son ambiguïté historique sur les structures de commandement de l'OTAN.

Cela dit, l'unilatéralisme français devrait être le cadet de nos soucis. Alors que le général Carter a clairement dit qu'il voulait transférer le contrôle de la campagne libyenne à une structure de commandement dirigée par l'OTAN dans les prochains jours, l'Allemagne, ainsi que l'a décrit un diplomate, agit comme une "ancre flottante" sur l'entreprise.

L'Europe, incapable de mener seule une guerre ?

Notre expérience amère en Afghanistan nous a montré les dégâts qui peuvent être causés lorsqu'un pays insiste pour imposer ce qu'il veut que son armée fasse ou ne fasse pas lors d'une opération militaire.

On estime ainsi à Kaboul que seuls 10% des soldats allemands déployés en Afghanistan sortent de leurs casernes, parce que Berlin a trop peur que leur vie soit mise en danger s'ils se retrouvent face aux talibans.

L'Allemagne ne peut pas imposer de telles restrictions cette fois, car elle n'a aucune intention de déployer ses escadrilles d'Eurofighters pour accompagner les Typhoon de la RAF (qui sont d'ailleurs également des Eurofighters) dans des missions de bombardement des forces de Kadhafi.

Mais elle peut, avec la Turquie, insister pour obtenir une structure de commandement et des règles d'engagement des avions de l'OTAN qui empêcheront la coalition d'accomplir sa mission. Si cela se produit, la capacité de l'Europe à mener une guerre seule sera gravement compromise.

Vu d'Allemagne

Paris, Berlin, Ankara : le trio infernal

"La coalition internationale contre Mouammar Kadhafi a deux faiblesses considérables", déplore la Süddeutsche Zeitung. "Elle ne sait pas ce qu'elle veut atteindre en Libye. Pire : elle ne sait pas qui mène les opérations. […] En l'absence d'un leadership américain, ce sont l'égoïsme, la vanité et les hésitations qui dominent la politique." Première accusée, la France. Nicolas Sarkozy, sans lequel il n'y aurait eu ni vote ni mise en œuvre rapide de la résolution de l'ONU, "veut à tout prix exclure l'OTAN, dont la réputation pourrait irriter les partenaires arabes de l'alliance anti-Kadhafi". Or personne n'a tenté de vérifier cette supposition. "La Turquie joue un rôle semblable, mais à l'autre extrême", ajoute la Süddeutsche Zeitung. Le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan veut être l'allié des autocrates "tout en étant le modèle démocratique des masses révoltées. Il suit une route rigoureusement anti-européenne et utilise Nicolas Sarkozy comme chiffon rouge [en allemand : Feindbild !] qui exacerbe la fureur contre l'Europe." L'Allemagne quant à elle, "cale et se met dans une position d'isolement que même ses amis ne peuvent expliquer". Bref, conclut le quotidien, "l'alliance pratique l'autodestruction. Trois centres de commandement sont responsables de l'intervention en Libye, l'opération porte trois noms différents, la Norvège et l'Italie menacent de se retirer si ce bazar ne se termine pas tout de suite. Le système d'alliances de Bismarck était un jeu d'enfant comparé au chaos en Europe".

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