Décryptage Charte des Droits Fondamentaux de l’UE

Vingt ans que la Charte est là, mais elle demeure une inconnue pour les citoyens

Il y a vingt ans, l’Union Européenne proclamait solennellement sa déclaration des droits fondamentaux : l’UE n’est plus un simple marché commun, mais une Union constituée de valeurs, qui met l’individu au centre de ses intérêts. La Commission lancera la semaine prochaine sa nouvelle stratégie pour une meilleure mise en œuvre de la Charte, l’occasion pour en apprendre un peu plus, avec l’expert Gabriel Toggenburg.

Publié le 2 décembre 2020 à 09:25

Nous avons tendance à penser que tout est toujours plus neuf aux Etats-Unis. Le Bill of Rights des Etats-Unis a récemment célébré son 230ème anniversaire. La Charte des droits fondamentaux, quant à elle, n’a été proclamée qu’il y a vingt ans, le 7 décembre 2000. 

Des enquêtes ont révélé que pour les Américains, il était plus facile de nommer deux personnages de la série familiale des Simpsons que de citer deux passages de leur Déclaration de droits. Mais ne vous moquez pas tout de suite, il se pourrait que les Européens ne fassent pas mieux. Une récente étude européenne a confirmé qu’une grosse moitié de la population de l’UE n’avait aucune idée de ce qu’était la Charte. 

Avec cette information en tête, les ministres européens se sont réunis pour insister sur le besoin de “favoriser l’appropriation de la Charte par les citoyens”. Mais cela vaut-il le coup de s’intéresser à ce document ? Qu’est ce que la Charte des droits fondamentaux ?

“La Charte…”

Dans le dictionnaire, une “Charte” est définie comme étant une déclaration officielle des droits d’une population d’un pays ou d’une organisation. Jusque là, on est d’accord. Toutefois, une “Charte” n’est pas une forme typique de législation européenne. Une “Charte” est en réalité une sorte de créature hybride : elle possède la “même valeur juridique” que les traités de l’Union Européenne sans pour autant en faire partie intégrante. En ce sens, la charte est une sorte de traité non-conventionnel. 

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Ce caractère hybride n’a pas d’incidence pratique, du moins tant que les citoyens ne demandent pas un changement du contenu de cette Charte. C’est pourtant ce que suggèrent deux artistes allemands dans leur projet, en invitant des citoyens à débattre de si oui ou non, la Charte a besoin d’être mise à jour. Juridiquement parlant, la façon dont un tel changement peut survenir reste néanmoins floue. Le fait que la Charte soit extérieure aux traités européens dessert également son intention, à savoir rendre “l’importance et la pertinence primordiale” des droits fondamentaux de l’UE “plus visibles pour les citoyens de l’Union”. Cependant, le nom même de “Charte” véhicule un message clair : le document fait état d’une liste complète de droits. 

“…des droits...”

Les plus de 50 articles de la Charte représentent une codification des obligations actuelles du droit international des droits humains. Trois éléments sont ajoutés à ce consensus :

  • Premièrement, la Charte est ostensiblement un document de l'UE puisqu'elle traite de ses spécificités. Les droits spécifiques à l'UE tels que la liberté de circulation (article 45), les droits garantissant la participation politique au niveau de l'UE (article 39 ou article 44) ou l'interaction efficace avec l'administration de l'UE (article 41, 42 ou 43) trouvent tous leur place au sein de la Charte.
  • Deuxièmement, la Charte est résolument moderne puisqu'elle énonce les droits dans un langage qui décrit leur signification actuelle. A titre d’exemple, la Charte stipule clairement que deux personnes du même sexe peuvent se marier. Mais la modernité de la Charte ne s’arrête pas là : elle confère des droits dans un langage des droits humains qui, jusqu'à présent, n'aurait pas été classifié comme tel, notamment le droit à la protection des consommateurs (article 38) et le droit d'exercer une activité professionnelle (article 16). 
  • Troisièmement, et c'est peut-être le point le plus remarquable, la Charte est une exception majeure par rapport aux autres lois internationales sur les droits humains, puisqu’elle combine en un seul document juridiquement contraignant les droits civils et politiques (par exemple, le droit à la liberté et à la sécurité) et les droits socio-économiques (par exemple, le droit à la santé ou à la protection sociale). En ce sens, elle ressemble à la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, avec pour seule différence que cette dernière n’a pas de valeur juridique.

Cette avancée majeure ne s’est pas faite sans conséquences. Afin de faire face à la résistance, au Royaume-Uni notamment, il convenait d’ajouter une disposition à l’article 52 (5) : outre des droits (forts) qui peuvent être invoqués devant des tribunaux, la Charte contient également d’autres dispositions plus faibles juridiquement parlant, à savoir de (simples) “principes” qui, eux, ne peuvent être directement invoqués devant des tribunaux. Cet épisode de l'élaboration de la Charte ne doit cependant pas conduire à la conclusion qu'aucune des dispositions socio-économiques de la Charte n'est un droit "propre". 

“...Fondamentaux”

Troisièmement, le nom de la Charte est clair sur la nature fondamentale du document. La Charte possédant la même valeur juridique que le traité, toutes les législations européennes doivent lui être conformes, au risque d’être déclarées nulles ou non avenues par la Cour de justice de l’Union européenne du Luxembourg, comme ce fut par exemple le cas de la Directive sur la conservation des données, qui prévoyait l’obligation de collecter toutes nos données de télécommunications. En tant qu'élément du droit communautaire, la Charte est également suprême par rapport au droit national. Certaines des dispositions de la Charte sont même contraignantes pour les parties privées : par exemple, lorsqu’un contrat est conclu - jusqu’à présent, la Cour a accepté un tel effet pour le droit de ne pas être discriminé (article 21), le droit à un procès équitable (article 47) et le droit au congé annuel payé (article 31(2)

La Charte utilise le terme de droits fondamentaux plutôt que le terme de droits humains, ce qui indique qu’elle porte sur la dimension interne à l’UE et non sur des situations propres à des pays tiers ou à des lois internationales, pour lesquelles l’UE préfère le terme de “droits humains”. Le terme établit un parallèle avec les systèmes constitutionnels des États membres qui utilisent souvent le terme “fondamental” lorsqu’ils parlent de droits. Le Président de la Convention européenne chargé de rédiger la Charte – Roman Herzog, un ancien président de l’Allemagne – a d’ailleurs indiqué dans son discours d'inauguration : "il est temps de donner un signal clair au monde extérieur que l'Union européenne ne doit pas être moins liée à ses citoyens que ne le sont les États membres en vertu de leurs propres lois constitutionnelles”

A cette époque, certains critiquaient l’UE en disant qu’elle imitait les Etats membres. Mais soyons clairs : ce document fondamental n’a pas été élaboré par des bureaucrates anonymes. Bien au contraire. Quarante-six des soixante-deux membres de la Convention européenne qui ont rédigé cette Charte étaient des parlementaires. Des représentants de tous les gouvernements des Etats membres de l'UE ont corédigé et approuvé le texte de la Charte. La Société civile a été invitée à soumettre ses propositions. En bref : la genèse de la Charte a été un processus ouvert et participatif, ce qui ajoute encore à la légitimité de ce document d'importance constitutionnelle. 

Et donc ?

Les 3 860 mots de la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne sont écrits dans un langage accessible. La majorité des dispositions de la Charte consistent en une seule phrase. Mais la distinction entre droits et principes montre déjà que la Charte est “facile à lire mais difficile à comprendre”. Mais contrairement à la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) du Conseil de l’Europe, la Charte n’est pas toujours contraignante pour les Etats, ce qui rajoute de la complexité. Juridiquement parlant, la Charte ne s'applique que lorsqu'un Etat agit dans le cadre du droit communautaire.

Cela signifie qu’outre la Charte, un deuxième acte juridique de l’UE qui serait applicable dans une situation spécifique est requis. Cela crée un potentiel de frustration considérable, ce qui rend l’orientation nécessaire. Chaque année, des centaines de citoyens qui espéraient trouver de l’aide auprès de la Charte se voient adresser des lettres décevantes de la part de la Commission européenne, car leur cas ne relève pas du fameux “champ d’application du droit communautaire”. La Charte n’est-elle donc qu’une vaste illusion, un chef-d'œuvre au premier abord mais dont la peinture s’écaille lorsqu’on y regarde de plus près ?

Mais un tel point de vue évincerait tout ce que cet instrument – bien qu’encore relativement nouveau – a déjà réalisé ! La Charte a suscité une nouvelle culture des droits fondamentaux dans les institutions de l'UE. Elle est passée d’ornement à ordre juridique. Même au niveau national, les tribunaux ont montré que la Charte peut avoir un impact considérable. De plus, la Charte est une expression concrète des valeurs partagées par l’UE et les 27 Etats membres. Rien que pour cette raison, il est intéressant d’étudier la Charte. Un épisode des Simpsons ou encore une série de blogs consacrés à la Charte pourraient être une solution pour mieux la faire connaître.  C’est chose faite : “Tous les droits de l’UE", restez à l'écoute ! 


Ce commentaire est tiré de l’introduction du blog “Tous les droits de l’UE” publié sur Eureka, qui décortique la Charte article par article dans le but de mieux faire connaître la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

Les personnes intéressées à participer au lancement de la stratégie de la Commission européenne pour la mise en œuvre effective de la Charte peuvent s'inscrire ici.

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