Une décharge dans la ville de Rzeszów, dans le sud-est de la Pologne

Apprendre à jeter utile

Consommateurs effrénés et grands producteurs de déchets, les Polonais vont être obligés, sous la pression de l’UE, de se convertir à la religion du "Re": réduction, recyclage et réutilisation.

Publié le 4 avril 2013 à 11:22
Une décharge dans la ville de Rzeszów, dans le sud-est de la Pologne

Cette année, nos activités ataviques de nettoyage de printemps sont marquées par une controverse sur les déchets. D’autant que la Pologne, de même que dix autres pays, a été pointée du doigt par l'UE pour le désordre, la saleté et l’accumulation des déchets.
D’où une question simple et urgente, pourtant rarement posée : avons-nous besoin de produire autant de déchets ? Autrement dit : la civilisation contemporaine n'est elle pas en train de succomber à la folie des objets, qui l’entraînera vers sa perte ?

L’Homo sapiens moderne traîne vers sa grotte de la nourriture et de l’eau emballées dans du plastique, bien qu’il dispose de l'eau du robinet. Il en traîne souvent beaucoup trop : promotion ou soldes à ne pas rater obligent, et puis le pack de six revient bien moins cher, quitte à en jeter.

Le syndrome du jeune consumériste

Nos parents ou grands-parents achetaient leurs téléviseurs pour toute une vie. La durée de vie des premiers téléphones mobiles était estimée à 10 ans. Aujourd'hui, une tablette numérique devient obsolète aussitôt achetée.

Selon les sociologues, les Occidentaux modernes sont des consommateurs de nouveautés, et la prospérité polonaise de ces deux dernières décennies n'est qu’imitation de la modernisation. Désirer des choses et jouir de leur possession sont une tendance inhérente à l’espèce humaine, mais l’avènement du capitalisme en Pologne en a instauré une variante plus puissante, à l’américaine.

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En tant que société nous souffrons toujours du syndrome du jeune consumériste : acheter, posséder, jeter, acheter du neuf, du pas cher, tellement pas cher qu’il est impossible de ne pas l’acheter.

Une tradition du provisoire

La culture matérielle des Polonais s’est construite dans une constante pénurie. Les objets utilitaires n’y perdaient pratiquement jamais leur utilité”, explique Włodzimierz Pessel, anthropologue culturel à l'Université de Varsovie, expert de la problématique des déchets, notamment en Pologne et en Scandinavie.

Selon lui, la tendance polonaise à entasser de la camelote et à conserver des objets tient à notre riche tradition du provisoire, avec des habitations jamais tout à fait à soi, et jamais définitives.

Une situation vécue par des millions de nos ancêtres expulsés, déplacés, ou expropriés. L’histoire de la Pologne est une histoire de reconstruction perpétuelle.

Seuls 5 à 10% des déchets sont transformés

La réduction, le recyclage et la réutilisation des déchets forment une religion d'Etat dans les pays de l’Ouest de l’UE. Cette religion s’appuie sur la force de la loi : vous êtes verbalisés pour un sac poubelle déposé sur le trottoir hors heure réglementaire, ou pour un bocal en verre jeté dans le conteneur à plastique. Dans ces pays d'oppression et de condamnation morale, où règne la propagande de la propreté, on transforme les environs des incinérateurs ultra-modernes et les emplacements des anciennes décharges en temples du bien-être, avec pistes de ski alpin, points de vue panoramiques et cafés branchés.

Là-bas, les lieux de stockage et de réutilisation des déchets d’équipements électriques et électroniques sont protégés par des barbelés pour éviter tout dépôt hors circuit. Chez nous aussi, mais pour empêcher leur vol.

En Allemagne, on transforme la moitié des déchets en matières premières et on ambitionne d’atteindre le seuil de 75%. En Pologne, le taux de transformation est seulement de 5-10%. Seules la Roumanie et la Lettonie font pire.

Une bonne affaire

La religion du “Re” remplacera-t-elle le culte du capitalisme et le dogme d’une production permanente, celui du remplacement du bon par meilleur, ou soit disant meilleur, mais certainement moins durable ? Les plus grands penseurs réfléchissent à l'avenir du monde embourbé dans un broyage permanent des déchets qu’il vient de produire, pour rappeler le célèbre livre Życie na przemiał (“La vie en miettes”) du sociologue Zygmunt Bauman.

Le capitalisme moderne ne ferait pourtant pas la promotion de la religion du “Re” contre ses propres intérêts, juste pour faire plaisir à la nature. Comme l’a bien dit quelqu’un: quand on met les mains dans les ordures, on touche aussi de grands profits. Les Norvégiens ont calculé que 4 tonnes de déchets ne rapportent qu’une tonne de pétrole brut. Les déchets ne sont non pas un effet pervers de la civilisation, mais une bonne affaire en pleine expansion, on gagne aussi bien en les produisant qu’en les éliminant.

Des mesures juridiques et de gestion dans le domaine du traitement des déchets, mises actuellement en place en Pologne soulèvent l’opposition d’une partie de la société. Payer davantage pour pouvoir jeter constitue un choc considérable. Ne plus déverser ses ordures la nuit dans une forêt environnante, ou dans la rivière, mais chercher plutôt à trouver une solution cohérente au niveau local et la respecter collectivement relève d'une quasi utopie. Quant au quotidien rituel du tri avec la sélection de conteneurs pour bocaux, boîtes, sacs, cartons et bouteilles, il exige carrément une révolution mentale.

Il serait bon que révolution des déchets tire la Pologne de son jeune consumérisme vers un niveau supérieur, moins brutal et moins stupide. Il semblerait que le temps soit venu de mettre les mains dans nos ordures.

Vu de Bucarest

Les vieux objets, une histoire d’amour

Le problème du recyclage des déchets “sévit dans tout l’Est de l’Europe”, et particulièrement en Roumanie, constate Money Express. Le mensuel économique cite une étude de 2010 montrant que “les frigidaires, les télés, les aspirateurs ou même les ampoules qui ne fonctionnent plus deviennent des objets auxquels on reste attachés”:

Ce n’est pas seulement parce que les gens ne savent pas quoi faire avec quand ils sont hors service, mais aussi parce que les programmes d’incitation des sociétés de collecte des déchets, qui offrent des réductions à l’achat en cas de retour d’un objet cassé, ont brusquement cessé en 2010.

Or, souligne le magazine, le recyclage entre maintenant dans le cadre des obligations européennes. En 2012, l’UE a publié une directive qui introduit de nouvelles normes de collecte des DEEE (déchets des équipements électriques et électroniques) et fixe un taux de collecte de 45 % par an pour la période 2016-2019. “Les pays membres ont 18 mois pour l’introduire dans leur propre législation, sous peine de sanctions pouvant atteindre 200 000 euros par jour”, note Money Express.

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