Le biogaz, une alternative durable au gaz naturel ?

Le biogaz et le biométhane, deux combustibles d’origine organique, ont vu leur production se développer en Europe ces dernières années. Avec une accélération du changement climatique, un impératif d’indépendance énergétique et un intérêt croissant pour une agriculture durable, la tendance n’est pas prête de s’inverser.

Publié le 4 avril 2023 à 10:23

Trouver des ressources énergétiques alternatives n’est pas seulement motivé par les différents impératifs climatiques d’aujourd’hui. Le coût élevé et la volatilité du gaz naturel, comme l’a prouvé l’actualité récente, sont aussi des stimulants très efficaces. Les substituts aux combustibles fossiles ne sont aujourd’hui plus seulement des moyens de réduire notre empreinte carbone, mais représentent aussi un secteur hautement stratégique.

Le biogaz et le biométhane – sa version améliorée, sans impureté – sont les deux formes de bioénergie les plus susceptibles de permettre la décarbonation des régions où obtenir de l’électricité à faible émission de carbone est impossible.


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Une aubaine dont l’UE s’est depuis longtemps emparée. D’après l’Agence internationale de l’énergie (AIE), l’Europe et l’Amérique du Nord détiennent plus de 60 % des capacités de production de biogaz, et l’Europe est la première région productrice, avec 20 000 usines de biogaz et biométhane.

Le Danemark – où la production de biogaz s’est emballée ces dernières années – en est la preuve : ces deux substituts permettent plus de flexibilité des systèmes énergétiques renouvelables basés sur l’électrique. Depuis le début de la guerre en Ukraine, la part de biométhane dans le réseau gazier danois a fortement augmenté et équivaudra, fin 2023, à 35 % de tout le gaz injecté dans celui-ci.

Biogaz et biométhane, état des lieux

Un rapport de l’Oxford Institute for Energy de 2017 révèle qu’une telle augmentation en Europe a principalement eu lieu entre 2009 et 2015 , le nombre d’usines de biogaz sur le continent passant de 6 000 à 17 000 unités. Après l’Allemagne, l’Italie et la France sont les deux pays qui en comptent le plus sur leur territoire.

Le développement de telles énergies varie en fonction des politiques en place ; majoritairement celles mettant en place des tarifications incitatives, ou définissant les matières premières pouvant être utilisées pour la production de biogaz.

À titre d’exemple, la production du biogaz en Allemagne a connu un ralentissement lorsqu’une loi visant à réduire l’exploitation de cultures énergétiques (espèces végétales cultivées pour produire de l’électricité ou de la chaleur, ndlr) comme le maïs fut introduite en 2014. De manière générale, les autorités tâchent de limiter l’utilisation de matières premières qui pourraient à la place entrer dans les chaînes de production alimentaire. La récente crise alimentaire engendrée par les tensions géopolitiques avec la Russie a rendu ce genre de raisonnement d’autant plus compréhensible.

Focus danois

Le Danemark a annoncé qu’il n’aurait plus recours aux cultures énergétiques d’ici 2030, et porterait alors son attention sur la gestion des déchets et des matières premières énergétiques. Actuellement, près d’un tiers du biogaz danois provient de l’engrais, dont 10 % du lisier de porc. L’agriculture et les déchets organiques domestiques assurent les deux tiers restants de la production.

Le Danemark est le pays européen qui devrait connaître la plus forte augmentation dans ce domaine. La production de biogaz est passée de 1,39 térawatt-heure(0,14 milliard de m³) en 2014 à 7 TWh (0,7 milliard de m³) en 2021, année où ce dernier a représenté environ 25 % de la consommation totale de gaz du pays. Le Danemark est donc le pays à faire le plus la part belle aux substituts organiques dans sa consommation totale de gaz en Europe. Dans le domaine, le pays nordique est talonné par la Suède (20 %) et la Slovaquie (12 %). 

Nous avons un nouveau système d’appel d’offres, approuvé en 2020 et transformé en législation en 2021. Il ne manque plus que l’autorisation de Bruxelles concernant les aides d’Etat. Nous espérons l’obtenir rapidement”, commente Bruno Sander Nielsen, directeur de l’Association danoise de biogaz

La situation du secteur du biogaz au Danemark devrait s’améliorer encore davantage, alors que les institutions européennes s’accordent sur la mise en place d’aides d’Etat plus accessibles dans certains secteurs spécifiques et que la coopération entre pays voisins se multiplient. Sans compter le fait que les bioénergies ne seront probablement pas le sujet le plus controversé à l’agenda politique.

L’augmentation de la production de biométhane et la diminution de l’utilisation des gaz naturels en raison de l’augmentation des prix pourrait mener à une substitution totale d’ici à la fin 2027”, anticipe Nielsen. En d’autres termes, le pays pourrait bientôt n’être plus du tout dépendant des gaz fossiles.

L’industrie danoise ne dépendra pas que des subventions. Des encouragements plus implicites existent, comme des obligations de réduction des émissions de CO2 dans le secteur du transport, forçant les parties prenantes à trouver de nouveaux carburants. 

Potentiel à long terme et objectifs

L’Italie est un autre pays européen à fort potentiel, en raison d’une saison hivernale courte et d’une production agricole renforcée. Contrairement au Danemark, le pays utilise la majorité de son biogaz pour se chauffer et produire de l’électricité, plutôt que de le transformer en biométhane. Aujourd’hui, il veut inverser la tendance.

D’après des associations agricoles locales, près de 100 nouveaux consortiums pourraient se lancer dans la production de biogaz en Italie dans les deux ans à venir. Passé une augmentation de 10 % d’ici un an, la production pourrait augmenter de 500 % d’ici à 2026, selon Le consortium italien de biogaz (CIB).

Selon le consortium, le gouvernement italien espère voir la production de biométhane atteindre entre 2,3 et 2,5 milliards de m³ d’ici à 2026. D’après le CIB, le secteur agricole sera en mesure de produire 6,5 milliards de m³ de biométhane en 2030. D’ici à 2030 également, le traitement des déchets urbains engendrerait 1,5 milliard de m³ supplémentaires, en partie grâce au financement de l’UE.

Le plan de la Commission européenne REPowerEU reconnaît l’importance stratégique du rôle à jouer par le biométhane dans la transition énergétique : il est prévu que l’UE produise 35 milliards de m³ de biométhane d’ici à 2030. En outre, le potentiel européen en matière de biométhane pourrait dépasser les 167 milliards de m³ en 2050, et couvrirait alors de 35 à 62 % des demandes en gaz pour le futur”, précise le CIB.

Le CIB a également présenté une feuille de route de la conversion agroécologique de l’agriculture italienne, afin de promouvoir une économie circulaire tout en réduisant ses émissions et en respectant les objectifs européens. L’Italie promeut en particulier la culture dite “séquentielle”, qui consiste en l’exploitation de deux ou plusieurs cultures sur un même champ durant une même année, permettant la production de produits agricoles destinés à nourrir la population, mais également la récolte de matériaux organiques destinés à la production de biogaz.

“Ce modèle est né il y a 10 ans en Italie. Nous sommes très en avance sur le sujet, c’est de là que provient le potentiel à l’horizon 2050. L’importance stratégique du rôle du secteur du biogaz est aussi liée au fait qu’il nous faut restaurer les nutriments présents dans les sols en Méditerranée, où l’érosion est un phénomène répandu”, explique David Chiaramonti, vice-recteur de l’université de Turin.

Seulement, l’ensemble des grands producteurs agricoles européens (Espagne, France, Pologne, Roumanie, Allemagne) ne réunissent pas les conditions climatiques nécessaires à la mise en place directe des cultures séquentielles. Au nord, des pays membres de l’UE comme le Danemark examinent toutefois cette possibilité.

Intégrer le biométhane et l’hydrogène

Malgré la récente opposition à l’utilisation des cultures séquentielles dans le but de produire du biogaz en Allemagne, certains experts locaux envisagent un regain d’intérêt pour les substituts organiques dans la première économie de l’UE, après que le gouvernement fédéral ait changé d’avis suite aux tensions géopolitiques actuelles.

Pour Manuel Maciejczyk, directeur de l’exploitation de l’Association allemande de biogaz, “il y a un fossé entre nos objectifs en termes de production électrique et où nous en sommes pour le moment. Mais la tendance est au changement : “À la fin du mois de décembre, durant lequel il n’y a parfois eu ni vent ni soleil, l’industrie du biogaz a été durant quelques jours la troisième source de production électrique la plus importante en Allemagne. Le gouvernement est en train de comprendre l’importance du biogaz”, constate-t-il.

Les discussions quant à la stratégie à adopter en matière de biomasse en Allemagne devraient continuer jusqu’à la fin de l’année. Reste à savoir quelles matières premières seront utilisées dans les usines de biogaz allemandes à l’avenir. D’autres questions sont en rapport à l’utilisation du biogaz : faut-il s’en servir pour produire directement de l’électricité et de l’énergie (production combinée de chaleur et d’électricité, ou cogénération) ou bien le transformer en biométhane et l’utiliser dans d’autres secteurs, comme les transports ?

“Il est possible d’intégrer le Power-to-Gas (la conversion d’électricité en gaz, ndlr) aux usines de biogaz. Quand vous produisez du biométhane, vous créez beaucoup de CO2 pouvant être utilisé pour produire du méthane à partir de de l’hydrogène. Un tel procédé permet respectivement d’amener les estimations de productions de biogaz et de biométhane en Allemagne à 180 TWh (18,42 milliards de m³) et 230 TWh (23,54 milliards de m³)”, explique Maciejczyk. Les technologies du biogaz et du biométhane sont prêtes, mais l’innovation et l’intégration de tels procédés à d’autres sources d’énergie pourraient, si elles sont encouragées, porter leurs fruits sur le long terme.

Les biogaz peuvent avoir un effet positif sur la lutte contre le réchauffement climatique en empêchant la pollution azotée et en capturant les émissions de méthane qui s’échappent des décharges et des bassins de stockage de fumier. Cependant,un article publié dans One Earth par trois chercheurs de l’Imperial College London suggère que les émissions produites par les chaînes de production de biométhane et de biogaz pourraient avoir été jusqu’alors sous-estimées, en raison des forts taux de pertes de méthane.

Des échanges interétatiques, des améliorations technologiques et une refonte des modes de productions agricoles pourraient entraîner une baisse des prix de biogaz et de biométhane, déjà compétitifs à l’échelle locale. À titre d’exemple, l’entreprise française d’énergie ENGIE espère voir les coûts de production diminuer de 30 % à l’horizon 2030. Ces améliorations devraient également permettre une réduction des émissions de l’industrie bioénergétique.

En conséquence, l’association Gas for Climate s’attend à voir les productions de biogaz et de biométhane augmenter de manière importante durant les deux décennies entre 2030 et 2050, passant en moyenne du simple au triple en Allemagne, en France, en Italie ou encore au Danemark. Toutefois, ces projections varient fortement, en raison des politiques régionales et en fonction des origines de la production. Ceci s’explique par deux raisons : tout d’abord car il est difficile d’estimer la quantité de gaz produite puisque ce dernier est utilisé près des lieux de production, mais également car les données varient en fonction des cadres réglementaires, qui sont toujours en cours d’élaboration – à un rythme que certains jugent encore trop lent. 

En partenariat avec European Data Journalism Network

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