Mario Monti et Angela Merkel, avant une conférence de presse, le 11 janvier 2012.

Chers Allemands, détendez-vous

Condescendante, mais efficace : l’Allemagne a longtemps fasciné autant qu’elle a agacé les Italiens. A présent que le technocrate Mario Monti est à leur tête, ils ont retrouvé de l’assurance et n'ont pas peur de dire qu’Angela Merkel aurait elle aussi quelques leçons à prendre, note Die Zeit.

Publié le 30 janvier 2012 à 15:57
Mario Monti et Angela Merkel, avant une conférence de presse, le 11 janvier 2012.

Un lundi après-midi à l'aéroport Leonardo da Vinci de Rome. Dans le hall, la queue pour passer les contrôles de sécurité ne cesse de s'allonger et deux Allemands s'impatientent.

"Il n'y a que l'Italie pour avoir une telle pagaille!", s'exclament-ils. Un Italien se retourne vers les râleurs et les fusille du regard. "Germans never change" [“Les Allemands ne changent jamais”], lâche-t-il en détachant chaque mot. "Vous savez toujours tout mieux que tout le monde, c'est toujours vous qui donnez les ordres".

Les Allemands riaient plus fort que les autres

Confus, les deux Allemands se taisent et l'Italien les ignore. N’allant pas vers la même destination, aucun de trois n'entendra le pilote de la Lufthansa saluer les passagers du vol Rome-Düsseldorf par un : "Notre décollage est prévu dans une demi-heure, mais avec les Italiens, on ne sait jamais".

Cette scène se déroulait il y a quelques mois alors que le gouvernement de Silvio Berlusconi touchait à sa fin. A l'époque, la moitié de l'Europe se moquait de l'Italie et l'Allemagne riait peut-être un peu plus fort que les autres. La troisième puissance économique européenne était avant tout considérée comme le pays du "bunga-bunga" et si son problème de dette était très sérieux, les Italiens, eux, continuaient à ne pas être pris au sérieux.

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La chancelière allemande n'a jamais ouvertement critiqué Berlusconi, elle se contentait de l'ignorer, lui et son pays. Les relations bilatérales entre l'Allemagne et l'Italie étaient aussi froides que les sentiments personnels entre la chancelière, fille de pasteur est-allemand, et son peu subtil homologue lombard. Angela Merkel était d'ailleurs particulièrement populaire en Italie.

Pour tous les Italiens qui subissaient Berlusconi, la chancelière incarnait toutes les vertus visiblement absentes chez leurs responsables politiques : sens du bien commun, retenue, intégrité.

Toutefois depuis quelques mois, l'Italie est gouvernée par un homme qui, outre ces qualités, en possède quelques-unes qui manquent à la chancelière. Par exemple, une certaine mondanité qui, ajoutée à sa parfaite connaissance des milieux économiques, lui confère une réelle force de décision. Le qualificatif d'"Italiens Prussiens", associé dans les médias allemands à Mario Monti et Mario Draghi, le nouveau chef de la BCE, a fait sourire plus d'un Italien.

Dès que Mario Monti a pris ses fonctions au palais Chigi [la présidence du Conseil italien], l'image d'Angela Merkel a commencé à se fissurer. De modèle irréprochable, elle est devenue la maestrina [maîtresse d'école] à l'esprit étroit qui colle les récalcitrants au coin de la classe et ne se rend pas compte que ce sont eux justement qui peuvent avoir de bonnes idées.

Une fois Berlusconi parti — au soulagement de tous —, l'Allemagne est devenue la principale source de problème en Europe pour les Italiens. En Allemagne, "la politique suit les variations des sondages", déclare Giovanni Moro, fils du chrétien-démocrate assassiné Aldo Moro. "Par son dogmatisme rigide, l'Allemagne ne met pas en péril que la monnaie unique, mais toute l'Union européenne", écrit de son côté une journaliste proche de Mario Monti.

Nous pouvons changer, les Allemands, non

A Rome, l'idée se répand inexorablement : nous, au moins, nous pouvons changer, pensent les Italiens, alors que les Allemands non. Lors de sa première apparition devant la presse internationale, Mario Monti a dit toute son admiration pour les pays scandinaves. Les mérites des pays d'Europe du Nord ont trop longtemps été sous-estimés, a-t-il expliqué. L'Europe ne doit pas se cramponner au seul modèle allemand. Il existe d'autres solutions.

Mario Monti a redonné de l'assurance aux Italiens. En quelques mois seulement, le pays a adopté des réformes et un plan d'économie drastiques, réduit les privilèges et pris des mesures contre la fraude fiscale. Les années Berlusconi semblent déjà loin.

Peu avant sa première visite officielle à Berlin, Mario Monti a fait quelque chose que Berlusconi n'avait jamais fait : il a posé des exigences à la chancelière. Il a demandé que la France et l'Allemagne cessent de faire preuve d'"autoritarisme" et leur a rappelé leurs erreurs passées. Il a également mis la chancelière en garde contre de possibles manifestations anti-allemandes à Rome si Berlin ne reconnaissait pas les efforts consentis par les Italiens.

A Rome, les compliments de la chancelière pour les réformes mises en œuvre ont donc été accueillis avec soulagement, mais non sans une pointe de dépit, ces encouragements n'étant pas dépourvus d'une certaine condescendance. "La priorité à la stabilité pour laquelle plaide l'Allemagne est très importante”, déclarait Monti dans le Financial Times. “Plus les pays endettés montrent qu’ils ont compris de manière concrète les impératifs de la discipline, plus les Allemands devraient se détendre".

Les Allemands vont devoir s'habituer à recevoir des leçons de leurs partenaires italiens. Cela a longtemps été l'inverse. Le nationalisme allemand s'est toujours défini en se distinguant des Italiens. Le mode de vie italien en revanche inspire largement les Allemands. Les pâtes, le vinaigre balsamique et l'huile d'olive sont aussi populaires au nord qu'au sud des Alpes et il se vend davantage de machines à espresso en Allemagne qu'en Italie. Les Allemands semblent parfois plus italiens que les Italiens.

Et si les Italiens devenaient de meilleurs Allemands que les Allemands ? L'Europe ne peut qu'en sortir gagnante.

Polemique

Les clichés ont la vie dure

Le Financial Times dresse l’éloge de cette “Italie qui est revenue sur la scène”, avec son président du conseil Mario Monti qui “dit ses vérités à Angela Merkel” et dont le sort “pourrait être celui de l’Europe”, car “c’est en Italie que se décide l’avenir sur le long terme de l’euro”. Alors que, pour le quotidien de la City le comportement de l’ancien commissaire européen “démolit tous les stéréotypes sur l’ineptie des Européens du Sud”, une polémique au sujet du naufrage du Costa Concordia et de son commandant Francesco Schettino a déclenché une guerre des mots.

C’est un éditorial du chroniqueur-vedette du Spiegel, Jan Fleischhauer, intitulé “Délit de fuite à l’italienne” qui a mis le feu aux poudres : “Trouvez-vous surprenant que le commandant était un Italien ?” demandait-il, tout en ressassant les clichés sur les Italiens et leur obsession pour la “bella figura” (la bonne impression) et en ajoutant que “la crise de l’euro nous montre ce qui peut se produire lorsque l’on ignore la psychologie des peuples pour des raisons politiques.”

“Nous avons Schettino, vous avez Auschwitz” a aussitôt répondu le directeur du quotidien de droite Il Giornale, Antonio Sallusti : "Le Spiegel écrit que nous ne sommes pas une race, eux en sont une, comme ils nous l'ont montré avec Hitler. […] Si avec Schettino, nous avonsa une trentaine de morts sur la conscience, ceux de la race de Jan Fleischhauer, eux, en ont 6 millions".

La Zeit met dos à dos les deux chroniqueurs, qui sont en vérité unis dans leur critique envers l’euro : “Fleischhauer et Sallusti jouent dans la même équipe. [Pour eux] l’UE en tant que communauté de cultures et d’intérêts a échoué”.

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