Entretien Guerre en Ukraine

La déportation d’enfants ukrainiens, arrangement “gagnant” pour la Biélorussie, selon l’expert Anatolii Kotov

Pourquoi les autorités biélorusses continuent-elles d’amener des enfants ukrainiens en Biélorussie pour y suivre une prétendue “convalescence”, dans le cadre de la collaboration de la Biélorussie avec la Russie et avec sa politique d’expulsion ? Le politologue Anatolii Kotov revient sur l’implication du régime biélorusse dans l’entreprise de déportation russe, ses raisons et ses possibles conséquences.

Publié le 15 novembre 2023 à 09:44

Alors que certaines figures russes comme Vladimir Poutine font l’objet d’une enquête auprès de la Cour pénale internationale (CPI), accusées d'être impliquées dans la déportation d’enfants des territoires occupés d’Ukraine, les autorités biélorusses continuent d’amener des mineurs ukrainiens [enlevés par les troupes russes] en Biélorussie. Dernièrement, elles sont même allées jusqu’à organiser une campagne de communication pour promouvoir leurs actions. 

La logique du régime n’est évidemment pas suicidaire, toutefois elle est parfaitement adaptée à la situation actuelle”, déclare le politologue Anatolii Kotov, sollicité par Salidarnasts. “Aucun mandat d’arrêt n’a été délivré cette fois-ci, et les précédentes arrivées d’enfants ukrainiens en Biélorussie n’ont que très peu préoccupé. Les faire entrer dans le pays n’est pas un problème”, explique-t-il.

Il existe un autre aspect important à prendre en compte à propos de ces voyages pour ‘convalescence’”, ajoute Kotov. “Ce projet cache bien entendu des intérêts financiers. D’importantes sommes lui ont été allouées sur le budget de ce que l’on appelle l’Union de la Russie et de la Biélorussie. La situation actuelle est donc la suivante : nous n’avons pas été sanctionnés et nous avons même gagné de l’argent. Tout le monde est gagnant.”


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Salidarnasts : N’y a-t-il vraiment personne pour demander quelles seraient les conséquences si la CPI délivrait un mandat d’arrêt contre Loukachenko ?

Anatolii Kotov : Le problème est que dès 2020, toutes les personnes capables d’analyser la situation ont été destituées de leurs fonctions. Les événements qui ont eu lieu en Biélorussie, et qui se répètent encore aujourd’hui, s’expliquent par la même logique : on fait rentrer de l’argent et on n’est pas sanctionné, alors autant continuer.

En ce qui concerne le mandat d’arrêt relatif à la déportation de mineurs, le régime semble prendre au sérieux les menaces de poursuites internationales ; toutefois, il est convaincu qu’il n’y a pas de preuves suffisantes pour en produire un. Le fait qu’un mandat puisse être délivré à l’encontre du dirigeant biélorusse est considéré comme une question d’opportunité politique à saisir.

Ce mandat aurait pu être lancé avant avril 2023, date à laquelle les premières informations et les premières preuves de l’implication biélorusse ont été révélées. Des enfants étaient amenés en Biélorussie avant cette date.

Cependant, malgré toutes les preuves, toujours aucun mandat d’arrêt n’a été délivré à l’encontre de Loukachenko. Cela doit probablement être le signe, non d’un manque de preuves, mais plutôt d’un manque de volonté politique.


Les événements qui ont eu lieu en Biélorussie, et qui se répètent encore aujourd’hui, s’expliquent par la même logique : on fait rentrer de l’argent et on n’est pas sanctionné, alors autant continuer


La Biélorussie pense probablement qu’en aidant juste la Russie, elle ne se lie pas à la guerre pour autant et par conséquent ne franchit aucune limite. Voilà pourquoi une telle décision politique serait, pour elle, inexpliquée.

La seule personne qui a souffert dans cette histoire – à proprement parler – est le chef de la Croix-Rouge biélorusse [soupçonnée de collaborer aux déportations], Dmitriy Shevtsov, contre lequel le ministre ukrainien des Affaires étrangères, Dmytro Kouleba, a demandé à la Cour pénale internationale d’émettre un mandat d’arrêt. Jusqu’à présent, Shevtsov n’a pas tant souffert d’avoir participé à l’enlèvement des enfants que du fait d’avoir arboré le symbole “Z” [porté par l’armée russe en Ukraine].

C’est pourquoi je considère que – dans un système qu’il a lui-même créé – le régime biélorusse se comporte de manière très rationnelle. Le fait qu'il devra un jour répondre de ses actes est une toute autre question.

Le problème est que la Biélorussie vit au jour le jour depuis les événements de 2020, voire depuis la fin des années 1990.

À l’exception du récent procès de Iouri Garavski [membre du commando des forces spéciales biélorusses responsable de l’assassinat de deux personnalités politiques de l’opposition et d’un homme d’affaires en 1999], personne ne doit répondre de ses actes. Personne n’a été sanctionné, emprisonné ou encore détenu à l’étranger. Il est vrai que certaines limites ont été imposées aux activités commerciales, mais dans le contexte actuel, elles n'ont presque aucun poids.

Néanmoins, les éléments prouvant les crimes du régime de Loukachenko à l’égard des enfants ukrainiens et des Biélorusses eux-mêmes continuent d’être recueillis.

C’est en effet le cas, bien que cette démarche n’ait posé encore aucun problème au régime. Les cas de violation des droits humains et de torture en Biélorussie sont également en train d’être recueillis et enregistrés.

Les représentants du régime savent parfaitement que leurs actions sont surveillées et documentées. Les informations produites par le régime lui-même seront très utiles à l’avenir.

Des comptes rendus des événements en cours en Biélorussie sont tenus et des témoins n’hésitent pas à participer à la collecte d’informations. De nombreuses personnes gardent également des documents de leur côté, au cas où il y aurait un changement de gouvernement.

👉 Lire l’article original sur Salidarnasts 

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