Actualité Lobbying et législation européenne

À Bruxelles, les ”Big Tech“ mettent le paquet dans le lobbying sur les règles pour le numérique

La législation européenne sur les services numériques aspirait à l’origine à limiter le monopole des réseaux sociaux et des plateformes numériques. Paradoxalement, ces dernières y ont trouvé des avantages tandis que l’UE a manqué son coup. Analyse données à la clé de la manière dont les "Big Tech" ont façonné la législation européenne.

Publié le 8 juin 2022 à 16:35

Vous effectuez une recherche spécifique sur internet. Plus tard, votre fil d’actualité sur les réseaux sociaux est soudainement inondé de publicités relatives à ladite recherche. Coïncidence ? Non. Grâce aux données personnelles recueillies auprès des grandes entreprises du numérique, les marques adaptent leurs publicités aux utilisateurs.

Cette publicité dite ciblée ou contrôlée permet aux firmes high-tech de capitaliser sur les données personnelles accumulées et de sélectionner les publicités les plus appropriées à l’utilisateur. Ces dernières années, la publicité contrôlée a été au cœur de polémiques notamment lors des élections présidentielles américaines de 2016 et du référendum sur le Brexit en 2018.

L’année dernière, dans une lettre ouverte adressée aux politiques, 50 ONG ont appelé à une fin de la publicité ciblée en soutenant qu’elle “facilite la manipulation et la discrimination systémique, constitue un risque à la sécurité nationale et alimente la désinformation et la fraude”. 

La législation sur les services numériques, (Digital Services Act) ensemble de mesures récemment approuvées par l’UE, a attiré l’attention sur la problématique des publicités ciblées. Cette législation tant attendue a initialement été conçue sur fond de protection et de sauvegarde des espaces numériques au profit des Européens ; mais depuis qu’elle a été proposée, les lobbyistes concentrent tous leurs efforts afin d’empêcher une interdiction des publicités ciblées. 

La présente enquête révèle les stratégies employées par le lobby des géants de la technologie à l’occasion des négociations concernant la législation européenne sur les services numériques. Les données et analyses récupérées offrent un nouvel aperçu des jeux d’influence menés par Google, Meta (maison mère de Facebook, Whatsapp et Instagram) et autres entre janvier 2020 et mars 2022.


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Une occasion manquée

Dans les premières ébauches du texte européen sur les services numériques de 2020, le Parlement européen recommandait d’“évaluer les possibilités de réglementer le ciblage publicitaire, y compris par une phase de suppression progressive débouchant sur une interdiction totale” de cette pratique omniprésente. 

L'accord final du Digital Services Act n'a pas atteint cet objectif – seules les publicités fondées sur l’origine ethnique, l'orientation sexuelle, les croyances religieuses ou l’appartenance à un syndicat sont interdites. 

Sur la publicité personnalisée, nous ne sommes pas allés aussi loin que nous le souhaitions. Je pense vraiment que c'est en partie à cause de cette gigantesque campagne de lobbying”, admet une fonctionnaire du parlement européen qui a souhaité garder l'anonymat.

Les publicités ciblées rapportent gros : en 2021, Meta a déclaré des revenus publicitaires de plus de 114 milliards de dollars (106 milliards d'euros), tandis que Google a dépassé les 209 milliards de dollars (194 milliards d'euros). “Google, comme d'autres entreprises, a peur d'être réglementée, ou d'être soumise à des règles plus strictes, comme c'est le cas actuellement avec la loi sur les services numériques”, explique le journaliste et auteur Alexander Fanta.

Stratégie n°1 : Payer pour jouer

Le lobby du secteur de la technologie est le plus dépensier à Bruxelles. Chaque année, les "Big Tech" dépensent environ 100 millions d'euros pour faire pression sur les institutions européennes de diverses manières. Les “Cinq Géants” – Google, Amazon, Meta, Apple et Microsoft – ont dépensé un tiers de cette somme en 2021. “Si vous avez de l'argent pour organiser des événements et payer des lobbyistes, alors votre voix n’en est que plus audible”, confirme la fonctionnaire du Parlement.

Stratégie n°2 : Entrer dans le circuit

Le phénomène de migration d’employés entre les postes de pouvoir du secteur public au secteur privé est connu sous le nom de “pantouflage” et constitue un problème grandissant à Bruxelles. Cette enquête a suivi l'historique des emplois de lobbyistes officiels. Plus de la moitié des lobbyistes reconnus comme travaillant pour les GAFAM ont déjà travaillé dans des institutions européennes. “Dans les annonces de recrutement de lobbyistes des Big Tech, l'expérience dans le secteur public est extrêmement appréciée”, déclare Margarida Silva, chercheuse au Centre de recherche sur les sociétés multinationales (Center for Research on Multinational Corporations) et ancienne du Corporate Europe Observatory. 

Andrea Busetto, lobbyiste pour Google, constitue un cas d’école. Son profil LinkedIn mentionne une expérience professionnelle récente en tant que conseiller politique auprès d'un “eurodéputé” et d'un “groupe politique” tous deux anonymes. Les archives des registres du personnel révèlent que Busetto a travaillé près de huit ans pour l’eurodéputé libéral italien Marco Zullo. Au cours de cette période, il a occupé plusieurs fonctions liés à la Commission du marché intérieur et de la protection des consommateurs (IMCO), responsable des négociations portant sur le règlement européen sur les services et marchés numériques. Grâce à Andrea Busetto, le département bruxellois…

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