Idées Après le conseil européen des 17-18 juillet

La renaissance de l’Europe se joue maintenant

Les chefs d’Etat et de gouvernement de l’UE doivent se prononcer sur le plan de près de 750 milliards d’euros destiné à relancer l’économie de l’Union. À cette occasion, les Vingt-sept pourront poser les bases d’une profonde réforme de l’Union, suggère Guillaume Klossa.

Publié le 16 juillet 2020 à 18:15

C’est maintenant que se joue le futur de l’Europe. Pas forcément au prochain Conseil européen : nos dirigeants, qui se retrouvent le 17 et 18 juillet à Bruxelles après des mois de vidéo-conférences, auront sans doute du mal à parvenir en quelques heures à un consensus sur un plan de relance qui pourrait changer le cours de l’histoire comme l’avait fait le traité de Rome qui avait requis des mois de tractations. Plus récemment, l’accord sur le Paquet énergie-climat qui a ouvert la voie à l’accord sur le climat de Paris de 2017 et au New Green Deal européen, n’avait pu être négocié qu’après des discussions sans fin lors du dernier Conseil européen de la dernière présidence française de l’Union européenne.  Mais dans les semaines qui viennent, il y aura accord tant tous sont conscients qu’en cas contraire, une crise politique majeure s’ajouterait à une crise économique et sociale inédite. 

Une autre raison plaide pour un accord : Les citoyens européens, les acteurs économiques et sociaux et les marchés financiers y sont très majoritairement favorables. Restent à surmonter de fortes réticences : aux Pays-Bas en pré-campagne électorale, en Autriche où l’extrême droite fait pression et dans les pays nordiques qui craignent de perdre en influence dans une UE devenue plus continentale qu’atlantique. Mais ces pays savent que, dans un monde tenté par le protectionnisme, renforcer le marché intérieur européen et son potentiel de croissance est urgentissime. Autrichiens, Néerlandais, Nordiques ont plus que jamais besoin des marchés espagnol, français et italien pour garantir leur niveau de vie. Les dirigeants danois et suédois ont d’ailleurs donné des signaux allant dans ce sens. Et Angela Merkel, qui préside le Conseil de l’Union européenne, a signifié aux premiers ministres néerlandais et autrichien que leur résistance entrainerait la marginalisation de l’Europe.

Accord il y aura donc avant la fin de l’été sur un montant compris entre 500 et 750 milliards d’euros, en majorité des subventions. Certes, il mentionnera que l’augmentation du budget européen de même que les transferts massifs associés sont exceptionnels et temporaires, mais la vérité, c’est qu’il créera un précédent de même que le New deal de Roosevelt, limité et temporaire à l’origine, avait durablement changé les règles du jeu américain. Cet accord brisera trois tabous en déplafonnant le budget européen limité depuis deux décennies à 1% du PIB de l’UE, en organisant une solidarité budgétaire massive entre les pays les plus affectés par le COVID 19 et les autres, et en rouvrant les discussions sur les ressources propres et un endettement direct de l’UE pour plusieurs décennies, instituant de facto de nouvelles solidarités.

L’Europe puissance du XXIe siècle

Les conditions d’une réforme institutionnelle inenvisageable il y a peu, seront alors réunies et la conférence sur l’avenir de l’Europe, qui ne porte aujourd’hui aucune ambition de changement de traité, pourrait, contre toute attente, devenir un nouveau moment constitutionnel. L’intuition d’Emmanuel Macron d’une refondation de l’Union européenne se concrétiserait alors. Et l’UE pourrait s’affirmer comme la puissance démocratique, industrielle, sociale, écologique et culturelle du XXIème siècle.

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Tout cela ne sera possible que si le plan de relance réussit. Ce plan doit permettre un puissant rebond et une transformation rapide et profonde de l’économie européenne, avec à la clé la création massive d’emplois à valeur ajoutée dans l’ensemble de l’Union. Il s’agit non seulement de protéger l’économie européenne et de la relancer pour rester dans la course mondiale mais également de réorienter nos ressources pour préparer les industries et services du futur. Ceci suppose que l’on ose penser pour la première fois un aménagement du territoire européen sinon les déséquilibres entre centre et périphérie continueront à s’accroître rapidement.

Ceci suppose aussi que les fonds soient disponibles le plus rapidement possible, ce qui pour l’instant n’est nullement garanti. Enfin, Il est clé que les citoyens attribuent ce rebond à la relance européenne, ce qui ne va pas de soi. Une étude commandée par la Commission européenne, montrant l’impact des fonds structurels sur la création de richesses et d’emplois, mettait en évidence que la corrélation n’était pas évidente pour les citoyens faute de portage politique des collectivités nationales. Le président Roosevelt avait d’ailleurs compris ce risque en créant, dans le cadre du New Deal, des programmes de relance fédéraux de nature sectorielle pour que les citoyens américains sachent à qui ils devaient la reprise. L’Union a aujourd’hui le même enjeu. Le plan de relance ne peut se limiter à la subvention de plans de relance nationaux même si ceux-ci répondent aux objectifs européens de transition écologique et numérique et d’autonomie stratégique. L’Europe doit se doter de vrais programmes transnationaux brevetés UE qui frappent les imaginaires tout en prouvant leur pertinence économique et sociale, sinon elle est inexistante.

Co-construire l’Europe de demain

Quelques exemples concrets qui parleraient à tous : un programme continental de rénovation des logements accessible à tous les citoyens européens favorisant des matériaux avancés durables et recyclables ; un plan d’équipement de tous les laboratoires et hôpitaux européens en microscopes de nouvelle génération, nativement numériques et connectés, permettant de mieux identifier et suivre les pandémies et épidémies ; des plateformes de distribution numérique et de traduction automatique pour les médias du continent leur permettant de récupérer la valeur économique aujourd’hui captée par les GAFA et éviter ainsi une faillite collective ; un nouveau programme satellitaire qui contribue à notre autonomie stratégique et à notre sécurité collective …   

Mais, pour que les acteurs qui devront les mettre en œuvre se les approprient rapidement, il faudra que ces projets ne soient pas uniquement élaborés depuis Bruxelles. Il s’agit de les co-construire sur le terrain avec les partenaires sociaux et les collectivités publiques et notamment les régions sans négliger les citoyens qui sont plus que demandeurs. La consultation massive WeEuropeans, organisée par Civico Europa et Make.org en lien avec la Commission européenne et le Parlement européen à la veille des élections parlementaires de 2019, avait touché près de 38 millions de citoyens dans 27 pays, mettant en évidence un engagement et un désir de contribution des citoyens aux priorités européennes sans précédent. Ne pas les associer serait une opportunité politique manquée. 

Il faudra aussi inscrire ces projets dans une dynamique sectorielle. C’est la que les 14 écosystèmes industriels européens annoncés par la présidente Von der Leyen et le commissaire Breton pourraient trouver leur rôle. Pour faire de la relance un succès, il est urgent que les Européens se mettent d’accord non seulement sur des montants mais aussi une nouvelle manière de faire. C’est ce que Jean Monnet avait compris en créant au lendemain de la guerre un commissariat au plan associant administration, monde économique et syndicats à la stratégie de reconstruction, cela reste plus que jamais d’actualité soixante-dix ans plus tard. La renaissance de l’Europe est à ce prix.   

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