Aurore boréale au-dessus de Nuorgam, à la frontiere finno-norvégienne.

Le passage de l’extrême Nord

Poste-frontière le plus septentrional de l’UE, le village de Nuorgam est le lieu de passage de travailleurs finlandais et norvégiens allant travailler d’un pays à l’autre. Mais la région, en plein pays lapon, reste un peu oubliée du reste de la Finlande.

Publié le 6 août 2013 à 11:22
saamivillage  | Aurore boréale au-dessus de Nuorgam, à la frontiere finno-norvégienne.

Tous les jours, Jocke Pikkarainen quitte son domicile de Nuorgam [en Finlande] et fait 25 kilomètres vers le nord pour se rendre à son travail à Tana Bru [en Norvège]. Il y enfile sa tunique rouge et reçoit les patients des urgences de la commune. Jocke Pikkarainen est originaire de Kimito [dans le sud de la Finlande].

Après avoir été ambulancier, il a décidé en août de l’année dernière d’emménager avec sa compagne aussi loin que possible sans émigrer, pour travailler sur la rive nord du fleuve Tana, qui marque la frontière entre la Finlande et la Norvège. Tous deux travaillent au centre de soins, même si sa compagne est actuellement en congé maternité.

“Si on est venu, c’est à la fois pour le côté aventure et parce que le salaire brut y est quasiment le double de ce qu’on toucherait en Finlande pour le même travail”, reconnaît-il. Jocke Pikkarainen s’adresse à ses patients et à certains de ses collègues dans un norvégien rudimentaire, mais en finnois avec Anu Saari, la responsable du service.

Le service n’emploie pas moins de cinq Finlandais. [[Le centre de soins de Tana Bru est un lieu hautement cosmopolite : seule la moitié du personnel y est d’origine norvégienne.]] “Nous avons des employés des Philippines, de Russie, de Thaïlande, du Canada ou d’Estonie”, explique Anu Saari.

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Braver les obstacles

Les salaires du secteur de la santé norvégien attirent depuis longtemps les diplômés finlandais, et il ne se passe pas une semaine sans qu’Anu Saari ne reçoive de candidatures en provenance de la Finlande. “En Norvège, les jeunes ne veulent pas faire médecine. Les trois-huit effraient, et d’autres secteurs offrent des emplois bien mieux payés”, explique-t-elle.

La demande de l’étranger est si forte que les établissements médicaux norvégiens n’ont que l’embarras du choix. “La maîtrise de la langue est un critère déterminant. Il faut parler norvégien ou alors bien se débrouiller en suédois”, poursuit Anu Saari.

Pour Jocke Pikkarainen, l’acclimatation linguistique s’est déroulée sans accroc. Il n’a pas eu de mal non plus à troquer sa vie d’étudiant de Turku contre le quotidien de père de famille vivant sous le ciel tranquille de Nuorgam. Pourtant, que ce soit ici ou à Tana Bru, on ne risque pas de faire des folies.

L’unique restaurant du village est le plus souvent fermé. Et les six mois de ténèbres hivernales pourraient en dissuader plus d’un. Mais cela n’a pas l’air de perturber Jocke Pikkarainen. "En fait, l’atmosphère est assez agréable. La nature est incroyable, ici”, se réjouit-t-il même.

Le passage frontalier entre Nuorgam [en Finlande] et le village voisin de Polmak [en Norvège], est effectivement assez plaisant. Pour un endroit situé au point le plus au nord de l’UE, marquant également la frontière de la Finlande avec l’OTAN [dont la Norvège est membre], le coin est même plutôt accueillant, en fait.

Attirer les touristes finlandais

A la frontière, un panneau explique que la douane est ouverte aux heures de bureau et qu’il est interdit de faire passer des marchandises sans autorisation spéciale en dehors des heures d’ouverture. Responsable du développement et de la vie économique au sein de la municipalité d’Utsjoki-kyrkby [en Finlande], Anne Länsman explique que la vigueur de la couronne norvégienne et le coût de la vie [nettement moindre] en Finlande font de Nuorgam une destination très rentable pour les Norvégiens.“Pour le même prix, ils achètent plus de choses qu’en faisant leurs courses chez eux. Le pouvoir d’achat des Norvégiens dope notre activité”.

Elle se demande toutefois si les entreprises du sud de la Finlande ont compris une chose: l’Arctique n’est situé qu’à 200 kilomètres d’Utsjoki et la Norvège a déjà investi des milliards dans son exploitation. “[[Quand cela commencera à bouger dans l’Arctique, Utsjoki sera au cœur des événements, à faible distance, mais côté Finlande]]. Pour que la Finlande puisse tirer profit de la proximité de l’Arctique, je voudrais inciter les entreprises à venir investir ici”, explique-t-elle.

Car la région ne pourra pas rester éternellement tributaire du pouvoir d’achat des Norvégiens. La Laponie septentrionale doit également miser sur le tourisme finlandais, estime Aslat-Jon Länsman. A 26 ans, il est à la fois éleveur de rennes, PDG de l’entreprise familiale qui produit des spécialités locales - comme le cœur de renne séché -, gérant d’un café à la belle saison et organisateur de séjours “aventure”, avec parties de pêche au saumon, découverte de la culture lapone, plongée sous-marine dans l’océan arctique, cerf-volant sportif et ski.

La culture lapone en danger

“C’est une gageure de faire venir les gens ici en hiver”, reconnaît-il. Aslat-Jon Länsman s’inquiète de voir la plupart des jeunes partir étudier et travailler dans le sud. Car il est difficile de maintenir la culture lapone en vie si elle se tire elle-même une balle dans le pied. “C’est vrai, il faut se battre, mais il y a des opportunités pour ceux qui osent se lancer”, assure-t-il, en bon entrepreneur.

Justement, les habitants tentent-ils leur chance ? “Je ne connais pas d’autres jeunes entrepreneurs ici, dans le secteur. On est trois éleveurs de rennes à avoir moins de 30 ans sur la coopérative”. Pour Aslat-Jon Länsman, les jeunes lapons doivent miser sur l’élevage de rennes pour assurer la survie de la culture. “La culture lapone, c’est l’élevage de rennes. Là où le finnois à un ou deux mots pour désigner le renne, le lapon en a 150 pour décrire l’animal dans toutes ses nuances”.

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