Décryptage Les européens et le Covid-19 | Lettonie, Lituanie et Estonie

Lassitude, scepticisme et technophilie : les trois visages de la pandémie dans les pays baltes

Bien que ces pays soient proches les uns des autres, la Lettonie, la Lituanie et l’Estonie n’ont pas été uniformément affectées par la pandémie et n’y ont pas réagi de la même manière. Pour le meilleur comme pour le pire, raconte Anna Ūdre depuis Riga.

Publié le 27 décembre 2020 à 13:34

En mai 2020, alors que d’autres pays fermaient leurs frontières afin d’éviter une propagation du virus, les Etats baltes ont convenu mutuellement de ne pas restreindre les déplacements des personnes, établissant ainsi un espace de libre-circulation sans obligation de s’isoler. La création de cette “bulle de circulation balte” a été accueillie positivement par les Estoniens et les institutions de l’Union européenne qui ont encouragé les autres Etats membres à suivre cet exemple.

Bien que les trois pays baltes soient parvenus à préserver cette “bulle” durant une partie de l’été, l’augmentation du nombre de cas, constatée dès septembre dans ces trois Etats, et la réinstauration par la Lettonie d’une quatorzaine pour les voyageurs en provenance des pays voisins ont abouti à son éclatement. De fait, peu après, alors qu’elles faisaient face à une deuxième vague de Covid-19, les trois républiques ont réinstauré des restrictions.

La lassitude des Lettons

La pandémie a frappé la Lettonie au début du mois de mars. Les premiers cas recensés concernaient des personnes qui revenaient de Milan. L’état d’urgence a été décrété le 13 mars. Les vols internationaux ont été interrompus et le gouvernement a conseillé aux citoyens de rester chez eux et d’opter pour le télétravail lorsque cette solution était possible. Les écoles ont été fermées, les autorités ont augmenté le nombre de tests et instauré des amendes en cas de non-respect des restrictions. L’état d’urgence a été prolongé jusqu’à la fin du mois de juin, tandis que seules quelques restrictions ont été allégées.

“Les gens ont raison d’être mécontents. L’armée des contestataires grandit rapidement, en Lituanie tout comme dans le monde entier”.

Dainius Kepenis

La situation était alors loin d’être alarmante, et la majorité de la population (environ 70%) considérait que les restrictions en vigueur étaient nécessaires et appropriées. Cette attitude a changé durant la deuxième vague : désormais 53% des personnes interrogées se fient aux informations gouvernementales et seulement 43% d’entre elles approuvent les mesures prises pour endiguer la pandémie. Certains groupes actifs sur les réseaux sociaux critiquent le principe même des restrictions et accusent les médias de “prendre leurs ordres du gouvernement et de diffuser de fausses nouvelles”. L’un de ces groupes, nommé “Tautas Varas Fronte”, a organisé une manifestation à proximité du Monument de la Liberté à Riga. En plus d’exprimer leurs doutes quant à l’existence du virus et leur désapprobation envers les restrictions, les organisateurs ont exigé que le gouvernement fasse l’objet d’une enquête. Alors que la pandémie progresse, le mécontentement face à la situation actuelle et envers le gouvernement ne cesse de croître.

Durant la deuxième vague, Anda Rožukalne, professeur à l’université Stradiņš de Riga, a mené une étude sur l’attitude de la société lettone vis-à-vis des informations relatives au Covid-19. Les informations ont une influence notable : plus de la moitié des sondés déclarent avoir perdu tout intérêt pour ce type de nouvelles ou s’en être lassés. Or, du désintérêt à la stratégie d’évitement il n’y a qu’un pas : 39% des sondés expriment des doutes quant à la fiabilité des informations. Il s’agit en général de personnes non touchées par la pandémie.

Dans ce contexte, plusieurs acteurs, chanteurs et autres artistes se sont engagés pour convaincre la population de respecter les restrictions. Dans des vidéos individuelles ou collaboratives publiées sur les réseaux sociaux, ils encouragent les internautes à porter un masque et à rester chez eux, sauf raison impérieuse. Plusieurs artistes ayant contracté la maladie ont insisté sur l’importance des gestes barrières, reconnaissant avoir été contaminés à la suite d’une session d’enregistrement lors de laquelle eux-mêmes ou leurs amis ou collègues ne portaient pas de masque.

Les Lettons succombent aux sirènes des théories du complot

En Lituanie, les premiers cas, également importés d’Italie, sont apparus dès février. Un confinement national a été décrété au début du mois de mars et a été renouvelé à plusieurs reprises. Les grands rassemblements ont été interdits, les établissements d’enseignement ont dû passer en mode numérique, et les musées, cinémas et salles de sport ont été fermés. Durant la première vague, la Lituanie n’a enregistré que quelques dizaines de cas par jours.

D’après un sondage réalisé à la fin du mois de mai par l’institut de recherche “Baltijos tyrimai”, 63% de la population adulte approuvaient l’action du gouvernement durant la première vague de la pandémie. Ce sentiment s’est fortement dégradé depuis. “Les gens ont raison d’être mécontents” a déclaré Dainius Kepenis, parlementaire de l’Union lituanienne agraire et des verts au Baltic News Network (BNN). “L’armée des contestataires grandit rapidement, en Lituanie tout comme dans le monde entier”. Les actes de désobéissance se multiplient dans tout le pays, et BNN rapporte que des gens à bout de patience n’hésitent pas à signer des pétitions exigeant la levée des restrictions. De nombreux chefs d’entreprise qui les avaient respectées durant la première vague et encouragé leurs clients à faire de même ne sont plus si coopératifs.

Dans ce contexte, les théories du complot rencontrent un succès croissant : le nombre de personnes convaincues que la pandémie est un complot international fomenté par les entreprises pharmaceutiques est en augmentation. Des groupes de citoyens sont allés jusqu’à se faufiler à l’intérieur d’hôpitaux assignés au traitement des malades du Covid-19 pour les filmer afin de montrer que la situation n’est pas aussi dramatique que les autorités sanitaires et le gouvernement le disent.

Le nombre de cas continue d’augmenter, et tandis que le monde attend un vaccin, de nombreuses personnes demeurent sceptiques quant à son efficacité. C’est notamment le cas de Dainius Kepenis, qui a récemment déclaré à BNN : “le vaccin a été confectionné dans la précipitation et ses effets secondaires demeurent inconnus. Je crains surtout que le mécontentement atteigne rapidement un seuil critique, et que les gouvernements, notamment le gouvernement lituanien, n’aient d’abord à faire face à des émeutes anti-confinement.”

Les E-stoniens étaient prêts pour le confinement

Le premier cas de Covid-19 a été enregistré en Estonie le 26 février. La personne en question était arrivée à Riga en provenance d’Istanbul. L’état d’urgence a été décrété le 12 mars, et le nombre de cas est retombé à un niveau très bas à la fin du mois de juin.

Dès fin novembre, le port du masque et les mesures de distanciation sociale sont devenus obligatoires, et de nouvelles restrictions concernant les rassemblements dans les espaces confinés et les salles de spectacle avec places assises sont entrées en vigueur. La maladie se diffusant essentiellement chez les jeunes, le gouvernement a procédé, sur recommandation de l’autorité sanitaire (Terviseamet), à un examen des activités de loisir et a étendu, jusqu’au 26 janvier, l’interdiction de vente d’alcool jusque tard dans la nuit.

Alors que la Lituanie vit sous confinement et que la Lettonie a introduit l’état d’urgence et interdit les événements publics tout en fermant les lieux de restauration confinés, l’Estonie a introduit des mesures de restriction plus légères, permettant l’organisation de concerts et de représentations théâtrales.

De nouvelles restrictions sont entrées en vigueur le samedi 5 décembre, telles que la restriction des horaires d’ouverture des salles de spectacle et des restaurants, et la limitation du nombre de personnes dans les commerces.

En résumé, l’Estonie semble s’en être mieux tirée que les autres pays baltes durant la deuxième vague. Pourquoi ? Début mars, l’Estonie a instauré l’état d’urgence, fermé ses frontières et décrété un confinement national afin d’empêcher la propagation du virus. Mais alors que les autres pays ont dû fournir d’importants efforts pour faire face à la fermeture des écoles et à l’interruption des principaux services, l’Estonie s’y est adaptée avec facilité du fait de l’infrastructure numérique de qualité qu’elle avait développée depuis plusieurs décennies. Les salles de classe numériques, la numérisation des supports pédagogiques, et l’accès en ligne à de nombreux services publics fonctionnaient déjà auparavant. Plus important encore, les Estoniens savent comment y accéder et comment les utiliser.

L’Estonie avait bâti l’une des sociétés numériques parmi les plus avancées bien avant l’arrivée de la pandémie de Covid-19, permettant à ses citoyens de bénéficier du vote électronique, de l'enseignement en ligne dans les écoles, de l’accès à de nombreux services publics sur internet, dont les soins de santé. Ces éléments se sont avérés un atout capital au plus fort de la crise et ont permis de sauver des vies. Certains services ont continué à fonctionner normalement, car ils étaient déjà accessibles en ligne auparavant. D’autres se sont rapidement adaptés à cette nouvelle situation. Durant le confinement, 99% des services publics estoniens ont continué à fonctionner. Certaines procédures pouvaient déjà être effectuées en ligne, comme l’enregistrement des entreprises ou des biens immobiliers ou le dépôt d’une demande de prestations sociales. Certaines de ces aides étaient même attribuées de façon automatique, par exemple les allocations familiales, suite à la déclaration de sa naissance d’un enfant.

L’accès aux dossiers médicaux en ligne et la possibilité de rédiger des e-ordonnances ont permis de dispenser de ces contraintes des médecins, des infirmières et des fonctionnaires du système de santé, qui ont pu, dès lors, se concentrer sur la lutte contre la pandémie. Un partenariat public-privé solide a facilité la mise en place d’options “sans contact” dans la vie de tous les jours, y compris aux postes frontières. Le gouvernement estonien a initié une ambitieuse transition numérique avec beaucoup d’enthousiasme. Même avant la crise, le gouvernement organisait des réunions en ligne, permettant ainsi à certains de ses membres d’y assister à distance. 87 % des écoles utilisaient déjà des solutions numériques avant la crise. Les enseignants estoniens sont formés à l’éducation et à la sécurité numériques. Le pays s’était donné pour objectif de numériser son programme pédagogique dès 2015.

En association avec la Fondation Heinrich Böll – Paris


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