Plus d’austérité, moins de liberté de la presse

Prompte à dénoncer l’autoritarisme croissant dans la Hongrie de Viktor Orbán, l’UE reste muette face à l’érosion de la liberté de la presse grecque, pays auquel elle a imposé une série de mesures d’austérité contre-productives, dénonce un chroniqueur britannique.

Publié le 6 novembre 2012 à 12:27

Quand les hurluberlus farceurs de Scandinavie ont décerné le prix Nobel de la paix à l’Union européenne, ils ont partagé leur plaisanterie avec tout le monde en saluant l’engagement de l’Europe en faveur "de la réconciliation, de la démocratie et des droits de l’homme". Si ce n’était pas une farce, en effet, voilà longtemps que vous auriez lu des communiqués rédigés par des Commissaires européens inquiets dénonçant la montée de l’oppression et du néo-nazisme en Grèce.

L’UE condamne énergiquement les menaces pesant sur la liberté de la presse dans la Hongrie de Viktor Orbán. Les responsables politiques européens s’inquiètent à juste titre du sort réservé aux institutions indépendantes qui font obstacle à un régime démagogique. Ils pointent les travers fascisants d’une nouvelle droite hongroise qui flirte avec la haine antisémite et anti-Rom et nourrit également le fantasme revanchard selon laquelle la Hongrie pourrait reprendre les territoires perdus après la Première Guerre mondiale. Mais pas un mot du sort de la démocratie grecque, alors que les dirigeants européens ne manqueraient pourtant pas de matière sur le sujet.

Des médias timides

C’est en observant ce qu’il censure que l’on peut identifier les points sensibles d’un Etat. Dans le cas de la Grèce, les poursuites judiciaires engagées la semaine dernière contre Kostas Vaxevanis ont montré qu’il avait touché l’un de ces points sensibles avec la précision du médecin qui plante une aiguille dans un nerf. Tandis que les Grecs vivent sous le régime de l’austérité à perpétuité, tandis que le PIB grec s’est contracté de 4,5% en 2010 et de 6,9% en 2011, et devrait régresser de 6,5% cette année et de 4,5% en 2013 selon les prévisions, la liste publiée par Kostas Vaxevanis de 2 000 Grecs détenteurs de comptes bancaires en Suisse laissait supposer que les Grecs qui avaient de l’entregent échappaient au fardeau qui pesait sur les épaules des masses.

Aussi heureux soit-il, l’acquittement du journaliste poursuivi pour "violation de la loi sur les données personnelles" avait moins d’importance qu’il n’y paraissait. Il ne signifiait pas que la liberté de la presse était protégée en Grèce. Même en des heures moins sombres, le journalisme indépendant a rarement pesé lourd dans le pays. La plupart des chaînes de télévision et des journaux grecs sont aux mains de l’Etat ou de sociétés ploutocratiques, et ni l’un ni les autres n’aiment voir les affaires de corruption dévoilées au grand jour.

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La plupart des employés des sociétés du secteur des médias grecs qui restent se font à l’idée qu’ils doivent se tenir tranquilles s’ils veulent toucher leur salaire à la fin du mois. Trop de ceux qui ne le font pas font l’objet de poursuites de l’Etat. "La liberté d’expression est toujours reconnue par la loi sur le papier", confie Asteris Masouras, l’un des observateurs de la liberté d’expression de Global Voices Online [un réseau international de blogueurs et citoyens journalistes]. "En pratique…" Il m’énumère des exemples de menaces pesant sur les journalistes.

Brutalité policière

Où commencer ? Pourquoi pas par les mesures d’austérité contre-productives imposées à la Grèce par la troïka que composent la Banque centrale européenne, la Commission européenne et le Fonds monétaire international ? Les autorités se sont servies d’un vieux mandat pour arrêter Spiros Karatzaferis (le 31 octobre), lorsque le journaliste a menacé de divulguer des e-mails confidentiels susceptibles de nous apprendre comment le prétendu "plan de sauvetage" de la troïka a précipité le pays dans la dépression.

La brutalité policière fait incontestablement partie de ces points sensibles. La gauche grecque multiplie les accusations dénonçant la collaboration entre les soi-disant forces de l’ordre et les brutes néo-nazies du mouvement Aube dorée. Le Guardian a publié des informations faisant état de passages à tabac de manifestants anti-fascistes par la police après s’être opposés à Aube dorée. Le lendemain, la télévision publique grecque faisait remplacer Costas Arvanitis et Marilena Katsimi, les présentateurs de son émission d’actualité matinale, après qu’ils ont fait savoir à leurs supérieurs qu’ils projetaient d’enquêter sur les allégations du Guardian.

Un autre journaliste de la télévision publique, Christos Dantis, est venu grossir les rangs des journalistes éclipsés. Ses supérieurs lui ont demandé de couvrir les cérémonies du centenaire de la libération de Thessalonique du joug ottoman. Il était sur le point de rendre compte des manifestations dénonçant la présence du Premier ministre et du président grecs dans la deuxième ville du pays lorsque ses supérieurs ont coupé sa caméra et diffusé les images d’un tâcheron plus docile à la place.

Responsabilité européenne

Force est de constater que les vieilles alliances entre les extrêmes politiques et les mouvements religieux extrémistes se reforment. Ainsi, le mois dernier, des intégristes chrétiens et des néo-nazis (la différence entre les deux mouvements est ténue) ont manifesté à Athènes contre une pièce jugée blasphématoire traitant de l’homosexualité. La direction du théâtre a bien évidemment retiré la pièce de sa programmation. La télévision grecque a coupé une scène de [la série télévisée britannique] Downton Abbey dans laquelle on voyait un baiser homosexuel. Bien malin qui peut dire pourquoi, mais un pays qui censure Downton Abbey pour des motifs autres que littéraires traverse une très mauvaise passe.

Les eurosceptiques britanniques ne comprennent pas que l’Union européenne a offert jadis aux peuples d’Europe une échappatoire vers un avenir libéral. Lorsque je suis allé à Athènes au début des années 1980, les personnes âgées se souvenaient d’avoir lutté contre l’occupant nazi et les jeunes d’avoir grandi sous la dictature militaire des colonels, qu’ils avaient parfois combattue. Adhérer à l’Union européenne revenait à dire au revoir à tout cela. Aujourd’hui, le pays renoue avec la pauvreté, la peur, la répression et les intimidations de l’Etat.

Vous pouvez pointer du doigt la corruption que la société grecque a tolérée. Vous pouvez accuser les banquiers de l’effondrement financier. Mais vous devez aussi reconnaître la part de responsabilité des dirigeants politiques et des bureaucrates européens qui ont accueilli la Grèce (et le reste de l’Europe du Sud) au sein d’une union monétaire qui a soumis le pays à un désavantage concurrentiel permanent et qui a refusé d’annuler une dette que la Grèce ne pourra jamais rembourser.

Il n’est pas étonnant qu’ils ne pipent pas mot au sujet des violations des droits de l’homme. Lesquels, a soutenu le Comité Nobel, sont garantis par la construction européenne. La Grèce est la République de Weimar des eurocrates dans la mer Egée. Ils en sont pour partie responsables.

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