Idées Après l’élection présidentielle en Pologne

Toujours plus à droite

La victoire serrée du conservateur sortant Andrzej Duda a balayé les espoirs que le pays pourrait faire dérailler le train antilibéral qui connecte Varsovie et Budapest. C’est maintenant à la société civile qu’il revient de réparer les fractures profondes laissées par une campagne extrêmement clivante.

Publié le 22 juillet 2020 à 13:00

La victoire électorale d’Andrzej Duda a mis fin à un cycle électoral de deux ans et demi en Pologne. Jusqu’à présent, il semblerait que ce soit une victoire aigre-douce pour le gouvernement PiS (parti “Droit et justice”), qui est parvenu à défendre un élément critique dans le système de gouvernance. Le bureau du président, le seul à être élu par un scrutin direct, détient la clé du processus législatif, mais il façonne également la politique étrangère et celle de la défense. Sans lui, le gouvernement ne serait en mesure de réaliser aucun changement législatif majeur, alors que, sur le plan international, la voix du président est bien plus que symbolique.

La stratégie défensive employée par le camp de Jaroslaw Kaczyński a au final été efficace mais laide et il semble que ce sera de courte durée. Depuis les élections parlementaires de l’année dernière, son camp est déchiré par des conflits internes initiés par deux membres de sa coalition, novices et pourtant indispensables : l’un d’eux est plus radical tandis que l’autre est plus modéré que Kaczyński lui-même. Le PiS a aussi perdu le Sénat de seulement deux sièges, ce qui limite pour le moment son potentiel de blitzkriegs législatifs, et le parti doit faire usage de pots-de-vin politiques ou de faire face à des délais législatifs d’au moins 30 jours au cours desquels les moindres propositions controversées seraient mises au bûcher sur la place publique avant même de pouvoir être traitées plus avant.

Les radicaux dans les rangs montrent toujours un zèle révolutionnaire et veulent continuer la purge dans le système judiciaire, les médias et les ONG, mais maintenant que les facteur unificateurs comme les élections et les négociations sur le budget de l’UE sont passés, leurs initiatives sont de nouveau exposées aux yeux du public. Il faut noter que, dès son premier mandat, le président Andrzej Duda a, pour ses propres raisons, bloqué ou retardé les initiatives de coup de force du gouvernement - tout d’abord au niveau du gouvernement local, puis de la réforme judiciaire simplement pour marquer son empreinte sur la révision finale, et enfin quand il a tenté d’évincer le chef de la télévision d’Etat à un moment critique juste avant la campagne. Reste à savoir quelle sorte de chemin il va prendre au cours des cinq prochaines années, mais pour le gouvernement, il sera tout autant truffé de nids-de-poule que le premier.

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Express Budapest-Varsovie

Pourtant, du point de vue européen, la Pologne vient de confirmer son virage à droite et a soufflé les espoirs que le pays pourrait enfin faire dérailler le train illibéral, aussi connu sous le nom d'Express Budapest-Varsovie. Afin de gagner de justesse avec une marge de 440 000 voix, M. Duda a dû employer des discours clivants sur la culture sexuelle prononcés par M. Orban, cultiver les préjugés locaux contre l’Allemagne, exécuter un lap dance politique pour M. Trump et contenter les discours de mouvements anti-vaccination sponsorisés par le Kremlin. Appuyé d’une propagande financée par l’argent des contribuables et construite par toute la panoplie des médias publics ainsi que par les plus hauts membres du gouvernement au pouvoir, il mène toujours une course au coude-à-coude contre le maire de Varsovie qui a enfin lui aussi rassemblé plus de 10 millions de votes. Cela semblait aussi dangereux que désespéré, et sans grandes perspectives pour les bénéfices futurs dans l’opinion publique.

M. Duda aura désormais des difficultés à s’entendre avec la plupart des autres dirigeants européens. D’une part, il vient de confirmer les pires préjugés entretenus par des collègues plus libéraux dans les pays occidentaux vis-à-vis de la mentalité polonaise. D’autre part, en comparant la communauté LGBT au communisme, il n’a pas seulement insulté Xavier Bettel et amené à des gestes de solidarité parmi les autres dirigeants européens. Il s’est également mis à dos l’un des principaux conseillers de Donald Trump.

L’ancien ambassadeur américain en Allemagne Richard Grenell est le fer de lance d’un effort mondial pour décriminaliser la communauté LGBT – instaurant une plus grande coalition contre l’Iran – mais décide aussi de l’avenir des troupes américaines en Europe. Comme rapporté par Reuters, Fort Trump – un élément clé de la présidence d’Andrzej Duda – n’a aucune chance d’être ravivé. Immédiatement après cette annonce, et seulement quelques jours avant la campagne, Andrzej Duda s’est précipité pour rencontrer Donald Trump à Washington, où aucune mesure concrète n’a été confirmée. La présence américaine en Pologne fait toujours partie de la stratégie du flanc Est de l’OTAN, quelques déclarations de renforts de la Maison-Blanche à l’appui, mais il n’y aura pas de construction de bases américaines permanentes - contrairement aux promesses du président polonais.

De plus, dans le cas d’une prise de pouvoir des Démocrates à Washington en novembre, M. Duda ferait face à une rude bataille diplomatique pour maintenir de bonnes relations avec un allié stratégique capital. La politique étrangère de l’équipe de Joe Biden est susceptible d’investir dans la réparation des relations avec des dirigeants européens clés en colmatant les fissures de l’UE que Donald Trump a jusque-là exploitées. Dans les faits, l’initiative majeure d’Andrzej Duda dans le bloc - l’Initiative des trois mers, composée de plusieurs membres de l’UE à la frontière est - pourrait perdre son sponsor politique américain. L’investissement américain dans la région continuera bel et bien - ne serait-ce que pour contrer l’influence chinoise - mais il devra montrer un visage différent aux autres partenaires européens. Reste à voir si Andrzej Duda conviendrait encore comme dirigeant de l’initiative, et si Donald Trump sera capable de regagner les 10 points nécessaires à une réélection.

La Pologne à la traîne du V4

Dans le groupe de Visegrád (V4), une coopération entre présidents ne revêt pas une importance capitale, mais elle a aidé à fonder un club partageant la même vision. M. Duda a fréquemment associé sa passion pour le ski à des gestes d’amitié échangés avec l’ancien président de la Slovaquie. Mais depuis la victoire de la charismatique Zuzana Čaputová, d’esprit libéral, l’alchimie présidentielle a disparu et M. Duda a peu de chances de vouloir la compagnie du président post-communiste et pro-russe Zeman ou du Hongrois János Ader, élu “juste” par le parlement, et donc avec un mandat populaire plus faible.

Par-dessus tout, dans un monde post-pandémie, le V4 n’a toujours pas trouvé de discours commun — qui jusque-là reposait sur des sentiments anti-migrants —, mais se tourne maintenant brusquement vers l’économie et la fonction publique. La situation est inquiétante pour la Pologne, car les autres V4 ont fait montre d’une meilleure coordination sous le Covid-19 en rouvrant les frontières entre eux et leurs voisins respectifs, tandis que la Pologne était clairement à la traîne.

Aucun de ces écueils n’est particulièrement réconfortant pour les libéraux polonais qui ont dû changer leurs tactiques et, au lieu de s’opposer totalement, adoptent quelques-unes des politiques sociales mises en œuvre par le PiS. Conjointement, il leur faut confronter le PiS dans une guerre culturelle tout en trouvant une offre positive et attractive en termes d’économie. Ce ne sera pas facile, mais en même temps, les trois ans avant les prochaines élections seront utiles pour reprendre son souffle et chercher des idées fortes.

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Faute de meilleur slogan, nous pouvons considérer “c’est l’économie, idiot” comme nouvel espoir. Dans les temps de prospérité, la comptabilité créative appliquée par Mateusz Morawiecki, premier ministre de l’Economie, puis Premier Ministre, a permis de financer les dépenses sociales en Pologne. Mais les finances publiques sont un colosse aux pieds d’argile.

Contrairement au discours nationaliste, ou plutôt derrière son masque, la Pologne projette de vendre une partie de la compagnie pétrolière Lotos. Récemment, la Commission européenne a approuvé une fusion de cette compagnie publique avec Orlen, une autre entreprise contrôlée par l’Etat. Etrangement, la fusion exclut presque tous les actifs rentables de Lotos qui devront être vendus. Une des explications est qu’il s’agit d’un effort désespéré pour combler le fossé dans le budget central, mais même s’il est couronné de succès, cela ne durera pas. La Pologne doit déjà augmenter les impôts et accroître sa dette.

Une guerre culturelle semble être un écran de fumée pour dissimuler d’autres problèmes, mais en réalité, elle frappe durement la société et creuse les clivages politiques. La chair à canon de cette guerre, ce sont les ONG, les militants pour les droits humains et les médias, qui sont malmenés des deux côtés. Dans le contexte actuel, la Pologne aura besoin d’une société civile forte qui aura l’endurance nécessaire pour survivre et conserver son influence politique mais pas sa division. Le gouvernement quant à lui essayera à coup sûr de décrédibiliser toutes les voix dissidentes en les faisant passer pour simple politique partisane. L’UE fait face à une longue lutte décisive en Pologne qui est au cœur du débat sur l’avenir de l’Europe.

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