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Sortir de la croissance : réinventer l’Europe pour sauver la planète

La croissance économique est le cheval de bataille de l’Europe depuis plusieurs décennies, mais c’est également un accélérateur d’inégalités et du réchauffement climatique. Si nous voulons réellement construire une économie juste socialement et écologiquement, nous devons radicalement repenser notre conception du progrès économique.

Publié le 30 septembre 2021 à 11:54
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Nous sommes en septembre 2021. Dans cette “décennie décisive”, il ne nous reste plus que neuf ans et demi pour complètement refaçonner notre monde économique afin d’éviter l’effondrement écologique ainsi que la catastrophe humanitaire qui en découlerait. Dans ce contexte, continuer à poursuivre une croissance infinie est clairement une stratégie économique d’auto-destruction irrationnelle. Le rapport récent et conjoint du GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat) et l’IPBES (Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services d’écosystèmes) a recommandé de “s’éloigner d’une conception du progrès économique où seule prévaut la croissance du PIB ” pour préserver la biodiversité et les écosystèmes. Le nouveau rapport du GIEC suggère un scénario climatique viable (Trajectoires socio-économiques partagées) qui envisage un monde où “l’accent mis sur la croissance économique bascule en faveur du bien-être humain”.


Mais la croissance du PIB (produit intérieur brut) n’est-elle pas essentielle pour soutenir le pouvoir d’achat, les politiques sociales et la prospérité en général, surtout en Europe ? Même s’il est dans notre intérêt de sortir de la croissance, pouvons-nous vraiment nous permettre une telle politique ? Dans une étude récente pour l'ETUI, j’explique que c’est réellement possible. 

Les décideurs politiques partagent largement l’opinion suivante : bien que la croissance économique participe à déstabiliser l’environnement, elle stabilise l'Etat-providence. Ils affirment même que l’Etat-providence ne serait pas possible sans croissance.

La co-dépendance supposée entre l’Etat-providence et la croissance serait alors fondée sur deux relations clés : la croissance et l’emploi, et la croissance et les revenus. En théorie, le premier pôle garantit qu’une augmentation du PIB se traduit par une hausse du niveau de l’emploi, ce qui entraîne une augmentation des contributions sociales et permet le bon financement des dépenses publiques. Ce modèle semble cependant révolu, comme en Allemagne, souvent vue comme le bon élève de l’Europe concernant le niveau de l’emploi et la croissance depuis au moins trente ans. Pourtant, en un demi-siècle, l’augmentation la plus forte et durable du niveau de l’emploi (entre 2006 et 2018) a coïncidé avec une baisse du PIB réel dans ce pays.


Gérer la transition en ayant le PIB comme boussole, c’est comme essayer d’attraper un objet avec vos mains en continuant de l’éloigner avec votre pied.


Ce découplage absolu est également constaté dans toute la zone euro, avec une augmentation du PIB réel et une baisse du niveau de l’emploi (par exemple entre 2002 et 2005 ou entre 2010 et 2012).

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Le phénomène est encore plus prononcé pour l’ensemble de l’Union européenne : la plus forte augmentation du taux de l’emploi ces vingt dernières années dans la zone (de 64 à 69,3 % entre 2013 et 2019) est survenue alors que la croissance du PIB n’était que modérée (autour de 2 %) et connaissait des hauts et des bas. De la même manière, le revenu national ne reflète plus le revenu individuel en raison de la montée des inégalités. C’est également le cas entre le PIB et la capacité fiscale en raison de la compétition sans merci sur le plan social et fiscal que se livrent les Etats membres de l’Union.

Plus fondamentalement, nous devons admettre que les indicateurs sous-jacents du développement humain sont la productivité du travail, la santé et l’éducation. Ils sont générés par l’Etat-providence, et non pas par la croissance économique qu’ils contribuent en réalité à maintenir. “Le mythe économique” selon lequel l’Etat-providence est un luxe que seules les sociétés développées peuvent se permettre, peut donc être inversé : l’Etat-providence est depuis 70 ans le pilier des économies développées, surtout en Europe. C’est également une source majeure de développement humain et de croissance économique depuis plus d’un siècle. De plus, la croissance économique joue en réalité un rôle marginal dans la stabilisation des politiques sociales comparée aux paramètres structurels socio-démographiques comme la croissance de la population pour la durabilité des plans de retraite.

Alors que le double découplage bien réel, d’un côté de la croissance et de l’autre de l’emploi et du pouvoir d’achat, passe inaperçu, le découplage illusoire entre la croissance et les dégâts environnementaux est réaffirmé en dépit de toutes les preuves. Un découplage absolu de la croissance et de l’émission de gaz à effet de serre est évidemment possible dans un seul pays (comme en Suède), mais ce cas isolé n’est plus significatif quand le calcul des émissions est ramené au niveau mondial, la seule échelle valable. En Europe comme dans le reste du monde, l’augmentation du revenu par habitant est le principal accélérateur du changement climatique. Sans recourir à une “stratégie de croissance nette zéro”, nous n’avons aucune chance d’atteindre les objectifs du Green Deal. Gérer la transition en ayant le PIB comme boussole, c’est comme essayer d’attraper un objet avec vos mains en continuant de l’éloigner avec votre pied.

Mais pouvons-nous imaginer et poursuivre une transition européenne socio-écologique avec pour objectif de réduire la destruction de l’environnement et les inégalités sociales, sans croissance ? Pour faire court, la réponse courte est oui. Il y a au moins trois stratégies à appliquer pour atteindre cet objectif.

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