Opinion Ukraine et UE

Le statut de candidat à l’UE, le sésame pour réformer l’Ukraine

Dans cette lettre ouverte, plus de 200 organisations de la société civile ukrainienne demandent aux dirigeants de l’Union européenne d’accorder à l’Ukraine le statut de candidat à l’adhésion à l’UE. Un tel statut permettrait selon elles d’accélérer les réformes, de rassurer les politiciens et la population mais également de renforcer l’Union toute entière.

Publié le 22 juin 2022 à 16:13

Le 23 et 24 juin 2022, le Conseil européen examinera la possibilité d’attribution à l’Ukraine du statut de candidat à l’UE. Nombreux sont ceux qui, au sein de l’Union, sous-estiment l’importance de cette étape.

Les objections de ceux qui souhaitent que la question soit reportée sont entendues, mais retarder la délibération endommagerait l’Ukraine et l’UE elle-même. Nous allons expliquer pourquoi un report retarderait les réformes de l’après-guerre en Ukraine, ébranlerait la démocratie dans d’autres pays – y compris les Balkans à l’ouest – augmenterait le budget de l’UE et alimenterait encore davantage l’instabilité en Europe.

Il y a toutefois un moyen d'éviter d’en arriver là et de donner un puissant élan aux réformes ukrainiennes, tout en créant nouvelles opportunités pour l’UE. En tant que représentants de groupes de réflexion ukrainiens et d’autres organisations de la société civile, nous proposons une approche qui répond aux préoccupations de l’UE et permet de se débarrasser de l’idée dangereuse d’un statut intermédiaire de “candidat potentiel” pour l’Ukraine.

Il est important de souligner que l’adhésion de l’Ukraine à l’UE n’est pas sur la tabel à l’heure actuelle et que le chemin est encore long. L'Ukraine doit mettre en application l’acquis de l’Union européenne et réformer de nombreux secteurs, de la production industrielle à l’Etat de droit ou encore la sécurité numérique. Elle respecte la procédure et sait qu’elle ne sera jamais membre de l’UE sans procéder à des transformations profondes qui ne sont pas moins importantes que l’adhésion elle-même.

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Pendant ce temps, le statut de pays candidat est, quant à lui, envisageable et l’Ukraine remplit déjà les critères.

Presque tous les pays qui ont envoyé leur demande d’adhésion à l’Union après 1993 – à l’époque de la rédaction des critères de Copenhague – ne satisfaisaient pas autant les prérequis que l’Ukraine aujourd’hui. Des pays des Balkans qui jouissent aujourd’hui du statut de candidat à l’UE, aucun ne s’alignait aux normes de l’Union lors de l’examen de sa candidature. Or, depuis plus de sept ans, Kiev applique un accord d’association avec l'Union et est de facto intégrée à l’UE dans plusieurs domaines, comme l’énergie ou la politique étrangère.

Les rapports annuels de l’UE reconnaissent les “progrès de l’Ukraine sur son programme de réformes”. En mai 2022, plusieurs cercles de réflexion ont appelé l’UE à octroyer à l’Ukraine une candidature, au regard des succès dans la mise en œuvre de l’accord d'association, de mesures de lutte contre la corruption, des réformes en matière d’énergie et d’autres réformes plus générales. Plus de 90 % des Ukrainiens soutiennent la demande d’adhésion de leur pays à l’UE.

Compte tenu de ce qui a été dit plus haut, un refus du Conseil européen d’attribuer à l’Ukraine le statut de candidat enverrait un message clair aux Ukrainiens : l’UE ne considère pas leur pays comme un “membre de la famille européenne” contrairement aux déclarations officielles et à l’opinion publique européenne qui, selon l’Eurobaromètre, est largement en faveur de l’adhésion future de l’Ukraine à l’UE.

Cette décision injuste renforcerait les eurosceptiques et ceux qui, par intérêt personnel, s'opposent aux réformes structurelles nécessaires en Ukraine. Elle affaiblirait dans le même temps les réformateurs au sein du gouvernement, du Parlement et de la société civile.

L’impact se ferait aussi ressentir sur les forces pro-européennes dans les pays indécis, y compris quelques-uns des pays des Balkans occidentaux : difficile de croire à une adhésion future de l’Ukraine si l’UE lui bloque ne serait-ce que l’accès au statut de candidat, quand bien même elle remplit manifestement les critères requis. Les eurosceptiques à Belgrade, Sarajevo ou à Skopje en seraient ragaillardis, et le rêve géopolitique d’une démocratisation future de la Russie, partagé par un bon nombre au sein de l’UE, tomberait à l’eau lui aussi.


Nous appelons l'UE à suivre cette voie et à fixer des exigences ambitieuses en matière de réformes sensibles, notamment dans le domaine judiciaire et de la lutte contre la corruption. La société civile ukrainienne sera votre partenaire dans l'élaboration de ce plan et la promotion des réformes


La décision entraverait également l’utilisation des fonds européens alloués à l’Ukraine pour la reconstruction d’après-guerre. Le statut de candidat étant en effet un feu vert pour les investisseurs européens qui peuvent par là réduire la pression sur le budget de l'UE et stimuler les économies ukrainienne et européenne.

Enfin, l'indécision de l'UE contribuera à renforcer l'objectif principal de l’agresseur russe : semer la défiance à l’égard de l’Occident, ralentir la démocratisation de la région et la condamner à l'instabilité.

Nous sommes conscients que plusieurs capitales de l'UE craignent que Kiev, une fois candidate, n'exige davantage d'intégration inconditionnelle et ne perde son appétit pour les réformes. La meilleure façon de dissiper cette inquiétude est de fixer les conditions préalables à l'ouverture des négociations d'adhésion – la prochaine étape technique après la candidature.

L'Ukraine a déjà connu une expérience similaire. En 2010, après l'adoption de l'assouplissement du régime de délivrance des visas, l'UE lui a proposé un ambitieux plan d'action pour la libéralisation des prérequis concernant ceux-ci. Après la révolution de 2014, l'Ukraine a mis en œuvre ce plan en adoptant des réformes qui semblaient alors impossibles ; pour, depuis 2017, les Ukrainiens bénéficient d'un régime sans visa, qui s'est avéré mutuellement bénéfique pour l'Ukraine et l'UE.

Nous appelons l'UE à suivre cette voie et à fixer des exigences ambitieuses en matière de réformes sensibles, notamment dans le domaine judiciaire et de la lutte contre la corruption. La société civile ukrainienne sera aux côtés de l'UE dans l'élaboration de ce plan et la promotion des réformes. Mais pour y parvenir, il faut que les prérequis soient notifiés rapidement et soient équitables.

Le statut de candidat assorti d'exigences ambitieuses pour les étapes ultérieures de l'adhésion constituera un outil puissant pour réformer l'Ukraine, contribuera à rassurer le personnel politique et la société civile, tout en renforçant l'Union européenne et son autorité dans le monde.

Signataires :
La partie ukrainienne de la plateforme de la société UE-Ukraine (un organe de l'accord d'association entre les deux entités) ; la Coalition Reanimation Package of Reforms (association publique de 26 ONG axées sur la mise en place de réformes en Ukraine) et plus de 200 ONG militant en faveur des réformes européennes : think tanks, syndicats, organisations caritatives et associations. La liste complète des signataires.

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