Actualité Partenariat oriental
La rue Krechtchatik, à Kiev.

La politique des petits pas

Il y a deux ans, sous l’impulsion de la Pologne, l’UE lançait son Partenariat oriental avec plusieurs pays de l’ex-URSS. Alors que Varsovie assume la présidence tournante, les experts dressent un bilan plutôt décevant de ce projet.

Publié le 11 juillet 2011 à 15:16
La rue Krechtchatik, à Kiev.

"Que de belles paroles, à quand des choses concrètes ? Le Partenariat oriental, ce projet phare porté par la Pologne, n’est-il vraiment qu’un artifice ?" : tel est le type de commentaires que l'on trouve sur la page Facebookconsacrée au Partenariat oriental, lancé par l'UE en mai 2009. Des questions auxquelles deux rapports récemment publiés apportent quelques éléments de réponse.

Selon la première étude, rédigée par le Conseil européen des relations étrangères (ECFR), si l’Union européenne n’a jamais été aussi présente dans l’espace postsoviétique, elle ne parvient toutefois pas à influencer réellement la politique de l’Arménie, de l’Azerbaïdjan, de la Biélorussie, de la Géorgie, de la Moldavie ou encore de l’Ukraine.

Incapable de promouvoir la démocratie dans ces pays, l’UE n’y est pas plus apte à défendre ses intérêts économiques. Les auteurs du rapport, Nicu Popescu et Andrew Wilson, pointent notamment un renforcement des tendances autoritaires dans tous les pays concernés par le Partenariat, à l’exception de la Moldavie. La Biélorussie, l’Arménie et l’Azerbaïdjan ne répondent à aucune norme démocratique. Certainement plus démocratiques, l’Ukraine et la Géorgie n’atteignent toutefois pas le niveau de la démocratie à l’occidentale.

Des élites davantage séduites par le modèle poutinien qu'européen

Pour MM. Popescu et Wilson, un échec de la démocratisation en Europe orientale risque de conduire à un embrasement révolutionnaire similaire à celui qui touche l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient. Les conséquences d’un tel scénario sont prévisibles : un afflux d’immigrants illégaux, des dépenses pour stabiliser les conflits et l’envoi de missions de paix, de négociateurs, d’observateurs, etc. Il est donc dans l’intérêt l’UE de s’engager à l’Est sans plus tarder.

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Le second rapporta été élaboré par les analystes de l’Institut des affaires publiques (ISP), à Varsovie. L’un des auteurs, Elzbieta Kaca, y affirme notamment qu'"après deux ans, le bilan du Partenariat est négatif. Le sommet du Partenariat oriental à Varsovie, à l’automne prochain, peut cependant tout changer. Un succès renforcerait le leadership de la Pologne dans la politique orientale de l’UE ; un échec conduirait au contraire à la marginalisation du Partenariat." Cet argument, martelé par les diplomates polonais, sonne un peu comme une formule magique.

Comment croire en effet qu’un sommet réunissant les dirigeants de six pays postsoviétiques et de l’UE pourrait à lui seul changer quoi que ce soit. Pour que le Partenariat se développe, encore faut-il que la population des pays concernés soit réellement attirée et intéressée par une alliance avec l’Europe.

Quant aux élites, elles sont davantage séduites par le modèle poutinien que par l’européen. Or le véritable défi du Partenariat est de faire connaître l’Union dans des pays comme l’Arménie, l’Azerbaïdjan et la Biélorussie et d’encourager leurs dirigeants à choisir le modèle européen. Cette mission ne prendra pas deux ans, mais plutôt deux décennies.

L’implantation du modèle européen paraît plus aisée en Géorgie, en Moldavie et en Ukraine, où les populations sont bien plus pro-européennes, de même que les élites, du moins officiellement. Dans ces trois pays, l’enjeu principal est de transformer les paroles officielles en actes.

Selon les auteurs du rapport de l’ISP, la clé de la réussite du Partenariat réside dans la conclusion rapide d’un accord de libre-échange entre l’UE et l’Ukraine, qui serait ainsi placée dans l’orbite économique communautaire, avec des règles commerciales et des taxes douanières communes. En signant un tel accord, l’Ukraine accomplirait une bonne partie de son intégration européenne.

Un tel accord pourrait être paraphé pendant la présidence polonaise de l’UE, qui débute le 1er juillet. Mais l’Ukraine est tentée par un accord concurrentiel, constituant une zone de libre-échange avec la Biélorussie, le Kazakhstan et la Russie, ce qui compromettrait toute convergence économique avec Bruxelles. La pression de Moscou étant de plus en plus forte, il est difficile de prédire le choix des autorités de Kiev.

Le processus de facilitation des visas trop lent

Le rapport évoque les facilités d’obtention de visas comme le meilleur moyen pour promouvoir l’orientation européenne dans les pays partenaires. Sur ce point, c’est encore l’Ukraine qui a accompli le plus de progrès avec son programme en deux étapes vers une exemption de visa. Mais l’actuel accord de facilitation de délivrance de visas ne mentionne, au désespoir des Ukrainiens, aucune date concrète d’achèvement du processus.

La Moldavie souhaite négocier la mise en place d’un plan similaire menant à la suppression de visas. Il en va de même pour la Géorgie, qui a pour l’instant conclu avec l’Union un simple accord de facilitation de délivrance de visas. A court terme, les autres pays ne peuvent guère espérer davantage que la simple promesse d’exemption de visa pour le futur.

Le succès du Partenariat dépend aussi de grands projets de modernisation des pays concernés, tels que la modernisation du réseau électrique. Mais bien souvent le manque de moyens financiers alloués au Partenariat rend impossible la réalisation de projets, qui finissent trop souvent dans un placard.

Il est donc primordial d’accroître les ressources financières du Partenariat, dans le cadre de l’UE, ou en ralliant à cette cause d’autres institutions comme la Banque européenne pour la reconstruction et le développement ou des bailleurs de fonds extérieurs à l’UE, comme les Etats-Unis, le Japon, la Norvège ou la Suisse. Les financements supplémentaires devraient servir à la réalisation d’un projet majeur qui, financé entièrement par ses fonds propres, offrirait une réelle visibilité au Partenariat.

Pour l’instant, ce projet phare fait défaut. Même si un excès d’optimisme et de triomphalisme semble hors de propos, les affirmations selon lesquelles le Partenariat serait mort avant même de naître sont grandement exagérées.

Opinion

Sortons des ambiguïtés

Les pays d’Europe orientale ne semblent pas particulièrement pressés de rejoindre l’Union. Pour l’hebdomadaire polonais Tygodnik Powszechny, cet état de choses tient à deux raisons. Tout d’abord, "les élites politiques et financières des pays couverts par le Partenariat oriental restent persuadées de pouvoir vivre à la manière occidentale, tout en faisant des affaires et en gouvernant à la mode orientale". Pour l’instant ils y arrivent très bien. Deuxièmement, la vieille Europe "ne cherche probablement pas davantage, derrière sa frontière orientale, que de disposer d’un minimum de stabilité et d’avoir le champ libre pour l’expansion de ses entreprises".

La Pologne ne doit donc pas s’attendre à un changement lors de sa présidence du Conseil de l’UE. Qu’elle parvienne à convaincre ses partenaires de parler sincèrement de l’Europe orientale et de dépasser l’habituel "on fait semblant de vous désirer dans l’Union, et vous, vous faites semblant de vouloir nous rejoindre". "L’Union et les pays du Partenariat doivent dire honnêtement ce qu’ils veulent les uns des autres, conclut Tygodnik Powszechny. Bruxelles compte-t-elle simplement créer une zone de stabilité derrière sa frontière orientale ? Considère-t-elle les accords d’association comme la phase ultime de sa politique de voisinage ou comme le début de la grande aventure européenne ?”

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